Page:Tannery - Pour l’histoire de la science Hellène.djvu/262

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duit plus ou moins exactement leur enseignement exotérique relatif à la cosmologie et à la physique, mais en tout cas, il avait nié la vérité de leur thèse dualiste ; d’un autre côté, dans sa théorie ontologique, présentée comme étant d’une rigueur et d’une certitude mathématiques, il ne les avait pas, à vrai dire, attaqués directement. Son principe fondamental, sur l’être et le non-être, revenait au fond au postulat — rien ne se fait de rien — déjà admis, au moins implicitement, par tous les penseurs qui l’avaient précédé ; pour l’établir, il n’avait donc à réfuter que l’opinion vulgaire sur la genèse et la destruction ; mais, de ce principe une fois posé, il tirait des conséquences toutes nouvelles, et notamment celles sur l’unité, la continuité, l’immobilité de l’univers contredisaient les doctrines pythagoriennes.

Les attaques contre son poème durent donc venir surtout de pythagoriens, et c’est eux que Zénon prit à partie ; Anaxagore est encore jeune et dans un milieu tout différent ; Leucippe n’a pas encore paru, et nous allons voir que la tradition antique qui le rattache aux Éléates est loin d’être aussi dénuée de probabilité qu’elle le paraît, en présence des opinions courantes sur l’éléatisme.

Quel était donc le point faible reconnu par Zenon dans les doctrines pythagoriennes de son temps ? de quelle façon le présente-t-il comme étant une affirmation de la pluralité des choses ? La clef nous est donnée par une célèbre définition du point mathématique, définition encore classique au temps d’Aristote, mais que les historiens n’ont pas considérée assez attentivement.

Pour les pythagoriens, le point est l’unité ayant une position, ou autrement l’unité considérée dans l’espace. Il suit immédiatement de cette définition que le corps géométrique est une pluralité, somme de points, de même que le nombre est une pluralité, somme d’unités.

Or, une telle proposition est absolument fausse ; un corps, une surface ou une ligne, ne sont nullement une somme, une totalité de points juxtaposés ; le point, mathématiquement parlant, n’est nullement une unité, c’est un pur zéro, un rien de quantité.

4. Que, malgré le développement de leurs connaissances géométriques, les pythagoriens aient commis cette erreur, on ne doit pas s’en étonner ; ils étaient partis en fait du préjugé vulgaire, encore partagé par la plupart de ceux qui sont étrangers aux mathématiques, et la seule découverte qui eût pu leur faire soupçonner la