Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/154

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ce besoin insensé de répétition machinale, de multiplication sans terme, et, nous dit-on, sans but  ? Et enfin la floraison terminale de tout cela, la sensation, l’amour, la foi, l’âme en un mot, comment rendre compte, par sélection naturelle ou sexuelle ou par tout autre mécanisme ingénieux, de ce phénomène inattendu ? Il me semble plus naturel de penser qu’à l’instar du savant qui, après les essais de généralisation prématurée de sa jeunesse, se spécialise pour aider à la construction future d’une synthèse plus vaste et plus vraie, la nature vivante, après avoir, par sa sphéricité primordiale, formulé son rêve hautain, a senti l’impossibilité momentanée du développement plein et total, y a renoncé en apparence, s’est résignée à l’avortement partiel, et s’est caractérisée enfin pour parvenir à s’universaliser ultérieurement. Elle a compris que, pour embaucher le plus possible de molécules extérieures et maintenir leur groupement, elle devait croître en hauteur et non pas uniquement en surface, et par suite lutter victorieusement contre la pesanteur. De là l’axe phanérogamique et aussi bien l’espèce de tige que présentent les cryptogames supérieurs. Ensuite, ou en même temps, l’insuffisance du recrutement des molécules opéré sur place s’est fait sentir, un grand nombre d’entre elles se refusant absolument à l’incorporation. La vie a dû aller quêter au loin ses sujets ; de là, la locomotion. On le voit, l’ascension et la locomotion ne sont, à vrai dire, que des auxiliaires de la nutrition. Il en est de même de la génération, qui n’est qu’une nutrition expatriée, continuée au dehors. C’est là le domaine de la vie proprement dite. Sa manière à elle de posséder consiste à se nourrir.