Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/225

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une telle force aux sensations immédiates pour les joindre à des images d’autres sensations ou les en disjoindre, qu’elle semble ne pas s’en distinguer ; mais elle prouve bien vite le contraire en s’en détachant pour s’attacher, avec une force non moindre souvent, à de simples images de la sensation qu’elle unit entre elles ou sépare, puis à des signes d’images, à des ombres d’ombres de plus en plus affaiblies, qui ne l’affaiblissent guère, chose étrange, tout en la multipliant. En effet, les perceptions répétées par la mémoire et généralisées par leur répétition même, donnent lieu aux percepts qui deviennent les termes de jugements d’un degré supérieur aux jugements sensitifs. Ces jugements nouveaux, en se répétant, produisent des concepts de l’espèce la plus simple, entre lesquels interviennent des jugements d’un ordre encore plus élevé, et ainsi de suite jusqu’à ce que, par des alternatives pareilles de jugements explicites et de jugements implicites, de croyances jaillissantes et de croyances accumulées, on parvienne aux plus hautes abstractions et aux plus hautes propositions théoriques qui se puissent concevoir et formuler. Encore une fois, si la croyance n’était qu’un simple rapport des sensations ou des reflets de celles-ci, elle devrait s’atténuer, s’exténuer, dans la mesure même de leurs affaiblissements, et, quand elles se réduisent à un simple mot, leur substitut verbal, se réduire à presque rien. Mais l’on voit chaque jour des fanatiques du vrai ou du faux se faire tuer pour leur foi en des mots abstraits, pour des dogmes obscurs. Et il n’est pas douteux que, dans cette longue évolution de la première perception à la dernière abstraction métaphysique, l’acte