Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/251

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Presse est-elle une fabrique d’admiration publique plus que de mépris public, de gloire artificielle plus que de diffamation calomnieuse ? On ne sait. Mais ce qu’on sait bien, c’est que le trouble causé par cette agitation du cœur public, ballotte de l’apothéose aux gémonies, de l’adoration à l’exécration, pour les mêmes objets, au gré d’une Puissance capricieuse, intangible et impunissable, est l’un des plus grands dangers du temps présent. Il faudra à toute force y échapper ou périr : et l’on n’y échappera que par un frein de fer mis par l’Opinion, encore plus que par le Gouvernement, à l’un des deux pouvoirs de la Presse, à son pouvoir diffamatoire. Alors, la symétrie étant rompue, le progrès social reprendra son cours obstrué par tant de démolitions haineuses et envieuses. L’humanité vit d’admiration et de respect autant que d’espérance. Quand le mépris, même le mépris moral, l’indignation, y atteint habituellement la hauteur de l’admiration, même de l’admiration morale, du respect, c’est un symptôme des plus alarmants. — L’état zéro, ici, c’est l’attitude critique de l’intelligence qui, en se généralisant, tendrait à tarir les sources à la fois de l’admiration et du mépris. Mais il n’est pas à craindre qu’elle se généralise jamais.

Les sentiments esthétiques présentent un caractère de sentiments-croyances d’autant plus accusé qu’ils se raffinent et s’élèvent davantage. Une chose est-elle jugée belle parce qu’elle est agréable, ou est-elle agréable parce qu’elle est jugée belle ? On peut répondre que le sentiment de sa beauté, toujours fondé à la fois sur un jugement et sur son agrément, l’est de moins en moins sur celui-ci et de plus en plus sur celui-là. La même chose, une cathédrale gothique, par