Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/278

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mémoire, l’effroi résigné et la voluptueuse défaillance de la vie qui se sent s’écouler, qui se sent mourir en rêvant d’éternel, n’est-ce pas là la plus profonde source et la plus habituelle, avec l’amour, de notre poésie ? Celle-ci, en poussant à bout les complications de cet ordre, ne s’est pas dirigée dans la voie des oppositions, mais au contraire s’est détournée de plus en plus des vaines antithèses, du balancement rythmique entre le rire et les pleurs.


XII

— Dans cette longue revue des sentiments, J’ai omis jusqu’ici le plus important peut-être et qui se rattache à la fois, également, à la croyance et au désir : le sentiment religieux. je n’en dirai qu’un mot, car il serait impossible de le creuser sans remuer à fond tout le terrain de la science sociale. Sous son aspect-croyance, il implique certains jugements préconçus, préjugés instinctifs maintenus désespérément, contre l’assaut grandissant des sensations puis des sciences hostiles, par la ténacité du cœur : la foi en des esprits maîtres des choses, protecteurs ou menaçants, en un monde invisible non pas contre-pied mais correctif de l’Univers visible, refuge contre le sort et contre la mort. Sous son aspect-désir on peut distinguer, avec M. Ribot, deux sentiments qu’il contient toujours, mais à doses très variables, la peur et l’amour. Il n’y a ici qu’une opposition très imparfaite, l’amour s’opposant à la haine et non à la peur, la peur à la colère et non à l’amour ; mais, par leurs effets, ces deux