Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/280

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réelles, comme celles de la croyance affirmative ou négative et du désir positif ou négatif, d’où elles dérivent, elles s’effacent, au lieu de se fortifier, par l’effet de leur culture individuelle et sociale, et se résolvent en produits supérieurs et compliqués qui ne présentent plus rien d’antithétique. On pourrait cependant me faire une objection d’apparence sérieuse. Les statisticiens démographes ont établi que, malgré leur diversité infinie, les tailles des individus au-dessus ou au-dessous de la moyenne se repartissent en séries numériques symétriquement opposées des deux côtés de la taille normale ; il en est de même de tous leurs autres caractères physiques. On ne saurait donc, ce semble, par une sélection artificielle ou naturelle, diminuer, par exemple, le nombre des très petites tailles sans diminuer d’autant, par suite d’une mystérieuse corrélation, le nombre précisément égal des tailles très élevées. Quelle raison y a-t-il de penser que les qualités morales échappent à cette règle ? N’est-il pas hautement probable que, si l’on dressait la statistique des variations sentimentales présentées par les individus d’une nation donnée, si l’on comptait leurs tendances à la cruauté ou à la bonté, à l’égoïsme ou à la générosité, à la débauche ou à la chasteté, à la perfidie ou à la loyauté, ainsi qu’à la tristesse ou à la joie, au découragement ou à l’espérance, à l’humilité ou à l’orgueil, on les verrait se coordonner en séries pareillement symétriques ? Coordination d’un grand intérêt ; car y aurait d’importantes conséquences à en tirer : que la société et l’individu s’efforcent en vain de se soustraire au joug de la symétrie, que leur affranchissement est illusoire, et que leur labeur séculaire en vue