Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans notre esprit, comme les éternels combattants du Whalhalla, des thèses contradictoires relativement à certains problèmes insolubles. Les néo-criticistes n’admettent pas cette insolubilité, cette absurdité métaphysique du oui et du non coexistant nécessairement et à jamais au centre de notre raison, en son domaine le plus propre et le plus pur. Ils ont raison, mais on pourrait entendre autrement l’idée de Kant, et si, au lieu de considérer l’opposition de ses thèses antinomiques sur l’infinité ou la finité de l’espace et du temps, sur la liberté ou la non-liberté du vouloir, etc., comme une lutte, on la considère comme un rythme, comme le balancement alternatif de notre raison entre ces pôles opposés, rien ne parait plus incontestable à première vue. Toutefois, si l’on étudie historiquement les variations de la pensée philosophique ou populaire à l’égard de ces problèmes, on s’aperçoit qu’il s’agit là, non d’oscillations tant soit peu régulières, mais d’alternance sans nul caractère de périodicité, ou plutôt de véritables transformations survenues dans la position de problèmes dont les termes changent à chaque horizon nouveau ouvert par les sciences, et dont les solutions se diversifient bien plus qu’elles ne se répètent. Tout le Moyen Âge, après toute l’Antiquité, a cru à la finité du monde dans l’espace et dans le temps, mais sous les formes les plus différentes, les plus originalement distinctes, et il a fallu les premières découvertes de l’astronomie naissante, la trouée des cieux de cristal de Ptolémée par le télescope, pour précipiter la pensée enthousiaste, avec Giordano Bruno, dans l’hypothèse enivrante de l’Univers infini. Chaque grand penseur, comme chaque grand peuple, a adopté, entre les deux solutions opposées,