Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

posé de la crainte, l’amour de la haine, que parce que la conscience est constituée de manière à comporter deux états opposés, le plaisir et la douleur. Deux forces mécaniques ne sont antagonistes qu’en tant que dirigées en sens inverse suivant une même ligne droite ; par suite, si l’espace de notre Univers était de nature, comme il le serait dans l’hypothèse (intelligible ou non) d’un espace courbe, à ne point comporter des lignes droites, les oppositions mécaniques seraient impossibles. Il en est ainsi du temps, qui, comprenant d’innombrables séries de phénomènes, ne comporte point de directions opposées dans son sein, abstraction faite de l’Espace.

Il n’est pas difficile de répondre à cette argumentation, dont le nerf consiste dans la symétrie psychologique du plaisir et de la douleur. Quant à l’inversion des figures semblables, en effet, il est clair qu’elle se fonde sur la possibilité, envisagée ou vaguement conçue, de leur marche l’une contre l’autre et de leur choc de front au point de rencontre. Pareillement, l’inversion, bien imprécise d’ailleurs, du plaisir et de la douleur, a pour fondement, à mon avis, l’opposition, très précise relativement, des mouvements de l’âme appelés désir et répulsion, désir d’une certaine intensité et répulsion d’une intensité précisément égale à l’égard du même objet. Une sensation est agréable parce qu’elle est désirée ; nous croyons à tort qu’elle est désirée parce qu’elle est agréable en soi. Notre erreur nous vient de la notion vague du plaisir, qui nous représente sous forme statique le fait dynamique du désir. Quand nous disons que nous sentons un plaisir visuel, nous devrions dire plutôt qu’en éprouvant une sensation de la vue, nous désirons inconsciemment la retenir et nous