Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/323

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économique, du peuple qui le parle ? Quoi qu’il en soit, rien n’autorise à penser que le dépérissement linguistique, fût-il jugé inévitable, est inverse de la croissance linguistique.

Même pour les mots isolement considérés, il n’est pas vrai que la vieillesse et la mort soient la suite fatale de la naissance. S’il en est qui périssent, il en est beaucoup plus qui se perpétuent depuis les origines les plus reculées, comme le montre l’identité des racines aryennes, dont le son ni même le sens, dans nombre de cas, n’ont changé. En outre, quand ils périssent[1], quand on cesse de les prononcer, c’est pour des raisons tirées non de la nature et du génie de la langue, d’une nécessité interne, mais de circonstances extérieures, telles qu’une conquête qui, en abaissant la condition sociale des vaincus et en rétrécissant leur horizon intellectuel, réduit au rang de patois leur idiome et rend inutile une grande partie de leur ancien vocabulaire, consacrée à des idées qui leur sont devenues étrangères. C’est ainsi qu’ont dépéri les dialectes de la langue d’oc, pendant que ses sœurs l’espagnol et l’italien, grâce à des circonstances plus favorables, s’acheminaient vers de hautes destinées.

Y aurait-il mort naturelle d’une langue quand l’observation montre que, sans conquête ni persécution, elle est parlée par un nombre d’hommes régulièrement décroissant ? Non, pas même alors. Car il s’agit ou bien de peuplades insulaires, polynésiennes notamment, dont la langue ne se

  1. Il y a aussi des résurrections de mots : Multa renascentur, La plupart des vieux mots français dont Lu Bruyère déplorait l : i mort ont été remis en usage.