Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/327

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de morale religieuse, l’accent a porté d’abord sur la chasteté et les mortifications ; puis sur la crainte de Dieu, sur l’amour de Dieu ensuite ; de nos jours, il porte sur la charité et l’amour du prochain. Ces pérégrinations de l’accent sont la plus inaperçue et peut-être la plus profonde des transformations que les religions traversent ; et il serait intéressant d’en noter la série. Cette série est-elle réversible ? En théorie, oui, mais en fait, non. Assurément, quelles que puissent être les palingénésies du christianisme, on ne reverra plus la résurrection de la chair ni l’enfer y jouer le rôle d’idée maîtresse. Il en est de cette série des dogmes majeurs comme de celle des crimes majeurs, qui vont du sacrilège, du vol, de la sorcellerie, de la bestialité, à l’assassinat par cupidité, et ne reviendront certes jamais à leur point de départ.

En fait d’institutions politiques, juridiques, économiques, esthétiques, il existe aussi un accent, qui se déplace plus ou moins lentement d’âge en âge. La vie politique n’est presque pas autre chose que ce mouvement du foyer de la rétine publique qui se dirige à chaque instant vers le point attaqué par l’opposition, dont le programme, « la plate-forme », change sans cesse. Ce même foyer se meut aussi, assez rapidement, dans le champ de l’art ou de la littérature, et c’est toujours le genre littéraire ou la manière artistique en discussion qui attire cette vive conscience du monde des lettres et des artistes. En apparence, c’est le même Racine, le même Corneille, le même Fénelon, le même Bossuet, que la France admire depuis Louis XIV ; en réalité, c’est une suite de qualités différentes qui, sous chacun de ces noms consacrés, alimente et renouvelle son admiration. Le Fénelon mystique