Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/344

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s’amoindrit la part de l’action personnelle dans sa direction. « Bien que le cours des choses, dit-il, ne cesse jamais d’être susceptible d’altération, tant par l’effet d’accidents que par celui de qualités personnelles, la prépondérance croissante de l’action collective de l’espèce sur toutes les causes moindres tend constamment à pousser l’évolution générale de la race dans une direction qui dévie de moins en moins d’une route certaine et déterminée d’avance. » Remarquons qu’alors même qu’il en serait ainsi, ce fait même, la difficulté croissante pour un individu de dévier le courant de l’impulsion collective des idées et des desseins, attesterait l’action décisive des individus marquants dont les innovations accumulées et propagées dans le passé ont creusé le lit de ce courant. Mais ajoutons que, si ce courant, né et grossi de l’imitation des inventions anciennes, est rendu de plus en plus fort par l’extension imitative du champ social, en revanche les ressources mises à la portée des gouvernants ou des hommes influents d’à présent qui songeraient à le dévier, à le canaliser, sont de plus en plus puissantes. Certes, pour remuer les masses d’aujourd’hui, qui se comptent par centaines de millions dans le monde européen, pour susciter en elles un élan révolutionnaire qui les porte, par exemple, vers un essai général de collectivisme, il faut une force immense. Mais la presse est cette force. Est-il certain d’ailleurs que, pour imprimer à nos nations européennes cette déviation incalculable de leurs destinées, il faille plus d’énergie qu’il n’en a fallu aux Pierre l’Ermite du Moyen Âge pour lancer l’aventure des Croisades ? N’oublions pas que, plus les peuples s’intellectualisent ou se civilisent, et plus ils deviennent instables, mobiles, désireux de changement. Il