Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/358

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de les opérer. Il serait intéressant de chiffrer, de dix ans en dix ans, la hausse ou la baisse de la foi religieuse attestée par les entrées dans les divers temples, par le nombre des confessions et des communions. Il serait du plus haut intérêt, pareillement, d’avoir une bonne statistique de la librairie, qui nous renseignât, d’après le chiffre des exemplaires vendus, sur la hausse ou la baisse de la curiosité et de la faveur publiques à l’égard de telles ou telles classes de publications, romans, voyages, récits philosophiques, poésies, journaux de telle ou telle nuance. On apercevrait alors clairement les variations de l’esprit public et le sens de ses transformations. Mais des investigations aussi indiscrètes atteindraient difficilement leur but. — Il n’y a pas de statistique de la moralité, tandis que celle de la criminalité est déjà ancienne et minutieuse : c’est pour une autre raison, et pour une raison assez semblable, en somme, à celle qui explique l’absence d’une mesure commune des lumières. Si l’on ne tient pas registre des actes vertueux, c’est que leur enregistrement est moins nécessaire que celui des actes criminels ; et il l’est moins, ou a paru l’être, parce que la contagion des actes de vertu est moins à espérer que celle des crimes n’est à redouter, et qu’il est moins urgent, en tout cas, de récompenser les auteurs des bonnes actions pour pousser autrui à les imiter, que de punir les auteurs des mauvaises pour décourager leurs imitateurs éventuels. À l’appui de cette distinction, on peut invoquer cette observation de fait : la charité privée vaut mieux que la charité publique, tandis que la justice publique vaut mieux que la justice privée, la justice criminelle du moins.