Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/446

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eux-mêmes d’harmonie végétale ou animale, par la domestication des animaux et des plantes utiles à l’homme, vivent d’adaptation et non d’opposition. En cela leur ressemblent les savants et les professeurs, qui créent et propagent des théories, des vérités systématisées, sortes de germes vivants aussi[1], principes supérieurs d’accord mental et social. La science et l’art sont des plantes domestiques dont les théoriciens et les artistes sont les agronomes. — Or le progrès humain ne consiste-t-il pas à faire prédominer de plus en plus la seconde classe de professions sur la première ?

On pourrait objecter, superficiellement, que, dans nos statistiques, le développement des procès de commerce semble lié dans une certaine mesure à celui de l’activité commerciale. Mais il n’en est pas moins vrai que le nombre des litiges commerciaux progresse moins vite que celui des transactions.

  1. À ce point de vue, rien n’est plus semblable au travail du laboureur ou de l’éleveur de bestiaux que le travail du savant ou de l’artiste, du philosophe ou du poète. Un darwinien dira-t-il, par hasard, que les progrès des plantes ou des animaux domestiques sont dus à ce que l’agriculteur met en jeu la occurrence vitale ? Mais, au contraire, il place un germe vivant, grain de blé, pomme de terre, couvée, dans des conditions telles qu’il soit préservé des coups de la lutte pour la vie : il exerce en sa faveur un véritable protectionnisme, détruit le chiendent et les autres parasites, défend l’agneau contre la dent du loup ou contre les microbes. Il permet ainsi nu germe vivant de se déployer en vertu de sa force propre, harmonieuse et logique, sans obstacles ni contradictions d’aucune sorte. Et le savant, le philosophe, ne fait pas autre chose : il fuit les lieux de discussion stérile, se recueille dans son laboratoire ou son rabinet, et là il nourrit son idée-mère à lui, son germe à lui, son hypothèse ju ;/ée viable, de toutes les connaissances qui lui sont appropriées ; il Invite ainsi sa force propre et latente à exhiber tout son contenu, et, si elle se montre ou contradiction avec les faits, il la rejette, puis en essaie une autre, jusqu’à ce qu’il ait mis la main sur une idée qui s’assimile facilement tous les faits connus et n’en contredise aucun.