Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/451

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III

Il faut donc envisager en face et de sang-froid l’anxieux problème dont tout le monde souffre et que presque personne n’ose formuler : y a-t-il ou non des vérités scientifiques incompatibles avec la paix ou la prospérité sociale, et des erreurs religieuses nécessaires à la paix ou à la prospérité sociale ? Et, si cela est, que devons-nous faire : n’y a-t-il à opter qu’entre la résignation au trouble ou à la ruine de la société, et le mensonge plus ou moins volontaire ou complaisant en vue de fortifier l’erreur ébranlée ? Par quoi remplacer la foi religieuse s’il est prouvé que la morale qu’elle soutient s’écroule avec elle et que cette morale soit le ciment social indispensable ? C’est en somme à ces questions que Guyau s’est efforcé de répondre dans son très beau livre sur l’Irréligion de l’avenir, et, auparavant, Auguste Comte, dans toute son œuvre philosophique. Mais ni la solution autoritaire de l’un, qui se pose en pape infaillible d’un néo-catholocisme immuable, ni la solution ultra-libérale de l’autre, qui la voit dans le libre jeu des esprits, des cœurs, des sensibilités absolument émancipées, et, d’après lui, d’autant plus aisément associables, ne sont propres à nous donner pleine satisfaction. L’optimisme moral de Guyau, à cet égard, encourt les reproches qu’a paru mériter l’optimisme tout pareil des économistes classiques qui attendent du laisser-faire la réalisation du meilleur monde économique possible, c’est-à-dire qui voient dans la suppression de toute règle le meilleur règlement.