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probablement jamais. J’étais presque découragé, mais avant de me laisser aller entièrement au désespoir, je me suis avisé de jeter un regard autour de moi afin de voir si mes voisins étaient plus favorisés que moi sous le rapport de la langue. Dans ce but, j’ai lu nos principaux auteurs, j’ai suivi avec patience les polémiques de nos journalistes les plus en renom, j’ai écouté nos Cicérons plaider en faveur de la veuve et de l’orphelin, nos Démosthènes enseigner au peuple ses devoirs — pardon, je veux dire ses droits, j’ai prêté une oreille attentive à nos Solons de la législature provinciale, et j’ai acquis la douce conviction que si je ne connais guère la langue française, peu, très peu de personnes dans notre pays peuvent me jeter la pierre.

J’ai dit que c’était là une douce conviction. Oui, d’abord, car mon amour propre était satisfait, mais elle est devenue bientôt une conviction amère. En réfléchissant un peu sur la situation j’y ai vu un grand danger pour l’avenir de la race canadienne-française.

La langue, c’est l’âme d’une nation. Si les Basques ont pu conserver si longtemps intactes leurs antiques institutions au milieu des révolutions et des guerres qui ont bouleversé la France et l’Espagne, si les Bretons et les Gallois sont restés distincts des races qui les entourent, c’est grâce à leur langue. Si l’Irlande lutte en vain pour reconquérir son indépendance, c’est qu’elle ne parle plus la langue de ses anciens rois. Voulez-vous faire disparaître un peuple ? détruisez sa langue. C’est parce qu’elles comprennent cette vérité que la Russie se montre si inexorable envers la langue polonaise et que l’Alle-