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NOTES DE VOYAGE

Pendant la soirée, j’ai eu l’occasion de converser assez longuement avec un jeune prêtre des États-Unis. Nous avons parlé de la condition de nos compatriotes établis dans la république voisine, des périls auxquels ils sont exposés, de leurs aspirations, de leurs besoins. M. l’abbé X m’a signalé le travail que font auprès des nôtres les nombreuses sociétés secrètes qui ont englobé les classes ouvrières. Il est souvent très difficile d’obtenir de l’ouvrage si l’on ne porte le signe de la bête. C’est une terrible tentation, à laquelle, malheureusement, plusieurs succombent. Là où il est possible d’avoir des prêtres canadiens dévoués pour grouper nos compatriotes et maintenir chez eux la langue et la tradition de la patrie absente, si intimement liées à la conservation de la foi, on constate les plus heureux résultats. Mais lorsque nos compatriotes, pour une raison ou pour une autre, se dénationalisent, on remarque que la foi baisse, que les œuvres diminuent. Il paraît donc important, au point de vue du salut des âmes, de conserver à nos compatriotes de là bas leur cachet national, ce qui ne doit pas les empêcher d’apprendre la langue du pays qu’ils habitent[1].

  1. Il n’est pas hors de propos de rappeler ici la lettre que Léon XIII adressa, pendant l’hiver de 1888-89, aux archevêques et évêques des États-Unis, au sujet des nombreux Italiens qui vont s’établir dans la république voisine. Après avoir rappelé les misères dont sont victimes ces pauvres émigrants et affirmé que la cause principale de ces maux se trouve dans le manque de prêtres capables de parler l’italien, Sa Sainteté indique le remède que, dans sa sollicitude apostolique, il a résolu d’appliquer : « Nous avons décidé, dit le Souverain Pontife, d’envoyer chez vous plusieurs prêtres italiens qui soient à même de soulager leurs nationaux en parlant leur propre langue, de les instruire de la doctrine de la foi et des préceptes ignorés ou négligés, de la vie chrétienne, d’exercer auprès d’eux l’administration salutaire des sacrements, d’élever la génération croissante dans la religion et dans des sentiments d’humanité, d’être enfin utiles à tous par le conseil et l’assistance et de leur venir en aide par les soins du ministère sacerdotal. » Demander pour les Canadiens-français établis aux États-Unis des prêtres qui sachent parler « leur propre langue », ce n’est donc pas faire preuve d’un faux nationalisme. Ce qui est bon pour les italiens, ne saurait être mauvais pour nos compatriotes.