Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/122

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acheter gâteaux et couteaux à gaine, flûtes, cornets, maillets et pipeaux. »

Aucassin, à ce discours, soupçonna que Nicolette, sa douce amie, qu’il aimait tant, leur avait parlé. Il les accosta, et leur donnant dix sous pour les engager à s’expliquer davantage, les interrogea sur ce qu’il venait d’entendre. Alors celui qui parlait le mieux de la bande lui raconta leur aventure du matin, et ce qu’ils s’étaient chargés de lui dire, et toute cette histoire de la biche blanche qu’on l’invitait à chasser. « Dieu me la fasse rencontrer, » répondit-il, et il entra dans le bois pour la chercher.

En marchant il disait : « Nicolette, ma sœur, ma douce amie, c’est pour vous que je m’expose aux bêtes féroces de cette forêt ; c’est pour voir vos beaux yeux et votre doux sourire, pour entendre encore vos douces paroles. » Ses habits, arrachés à chaque pas par les ronces et les épines, s’en allaient en lambeaux. Ses bras, ses jambes, tout son corps en était déchiré, et l’on eût pu le suivre à la trace de son sang ; mais il était tellement occupé de Nicolette, de Nicolette sa douce amie, qu’il ne sentait ni mal, ni douleur.

Il passa ainsi le reste du jour à la chercher partout sans succès. Quand il vit qu’il ne la trouvait point et que la nuit approchait, il commença à pleurer. Cependant comme la lune éclairait, il marcha toujours. Enfin sa bonne fortune le conduisit à la feuillée qu’avait construite la fillette.

À la vue des fleurs dont la loge était ornée, il se dit à lui-même : « Ah ! sûrement ma Nicolette a été ici, et ce sont les belles mains de ma douce amie qui ont élevé cette cabane. Je veux pour l’amour d’elle m’y