Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/23

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doucement, sire Nicole, reprit le clerc, ces bonnes gens n’ont peut-être pas de quoi payer, et dans ce cas vous devriez moins les blâmer que les plaindre. À combien se monte leur dépense ? — À dix sous. — Quoi ! c’est pour une pareille misère que vous faites tant de bruit ! Eh bien ! apaisez-vous, j’en fais mon affaire. Et pour ce qui me regarde, moi, combien vous dois-je ? — Cinq sous, beau sire. — Cela suffit, ce sera quinze sous que je vous paierai, laissez sortir ces malheureux et sachez qu’affliger les pauvres, c’est un grand péché. »

Les aveugles, qui craignaient la bastonnade, se sauvèrent bien vite sans se faire prier ; et Nicole, d’un autre côté, qui s’attendait à perdre ses dix sous, enchanté de trouver quelqu’un pour les lui payer, se répandit en grands éloges sur la générosité du clerc. « L’honnête homme ! disait-il ; le digne prêtre. Oui, sire, une si belle charité ne restera pas sans récompense : vous prospérerez, c’est moi qui vous l’annonce, et à coup sûr, Dieu vous bénira. »

Tout ce que venait de dire l’hypocrite voyageur n’était qu’une nouvelle malice de sa part ; et tout en leurrant l’hôtelier par cette ostentation de générosité, il ne songeait qu’à lui jouer un tour, comme il en avait déjà joué un aux aveugles.

Dans ce moment sonnait une messe à la paroisse. Il demanda qui allait la dire, on lui répondit que c’était le curé. « Puisque c’est votre pasteur, sire Nicole, continua-t-il, vous le connaissez, sans doute ? — Oui, sire. — Et s’il voulait se charger des quinze sous que je vous dois, ne m’en tiendriez-vous pas quitte ? — Assurément, et de trente livres même, si vous me les deviez. — Eh bien ! suivez-moi à l’église, et allons lui