Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/37

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pauvre mère, si je ne vous avais pas perdue, je ne serais pas malheureuse. Que vais-je devenir ? » Elle était si affligée qu’elle ne voulut écouter ni recevoir de consolations de personne, et qu’elle passa tout le jour à pleurer comme l’avait prévu son mari.

Le soir, quand il rentra, son premier soin fut de chercher à l’apaiser. C’était le diable qui l’avait tenté, disait-il. Il jura de ne jamais porter la main sur elle, se jeta à ses pieds et lui demanda pardon d’un air si pénétré, que la dame promit d’oublier tout. Ils soupèrent de la meilleure amitié et firent la paix. Mais le vilain, qui avait vu son stratagème réussir, s’était proposé de l’employer encore. Le lendemain donc, à son lever, cherchant querelle à sa femme, il la frappa de nouveau et la quitta comme la veille. Elle se crut pour le coup condamnée sans espoir à être malheureuse et s’abandonna aux larmes.

Tandis qu’elle se désespérait, entrèrent chez elle deux messagers du roi, montés sur des chevaux blancs. Ils la saluèrent au nom du monarque, et lui demandèrent un morceau à manger ; ils mouraient de faim. Elle leur apprêta aussitôt ce qu’elle avait, et pendant le repas, les pria de lui dire où ils allaient ainsi. « Nous ne savons trop, répondirent-ils, mais nous cherchons quelque médecin habile, et nous passerons s’il le faut jusqu’en Angleterre. Demoiselle Ade, la fille du roi, est malade. Il y a huit jours qu’en mangeant du poisson, une arête lui est restée dans le gosier. Tout ce qu’on a imaginé depuis ce temps pour l’en délivrer a été sans succès. Elle ne peut ni manger, ni dormir, et souffre des douleurs incroyables. Le roi, qui se