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Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/57

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À ces mots, des larmes s’échappèrent des yeux du marquis. Il ne put dissimuler davantage, et, admirant cette douceur inaltérable et cette vertu que rien n’avait pu lasser, il s’écria : « Griselidis, ma chère Griselidis, c’en est trop. J’ai fait, pour éprouver ton amour, plus que jamais homme sous le ciel n’a osé imaginer, et je n’ai trouvé en toi qu’obéissance, tendresse et fidélité. » Alors il s’approcha de Griselidis qui, modestement humiliée de ces louanges, avait baissé la tête. Il la serra dans ses bras, et, l’arrosant de ses larmes, il ajouta en présence de cette nombreuse assemblée : « Femme incomparable, oui, toi seule au monde es digne d’être mon épouse, et toi seule le seras à jamais. Tu m’as cru, ainsi que mes sujets, le bourreau de tes enfants. Ils n’étaient qu’éloignés de toi. Ma sœur, aux mains de qui je les avais confiés, vient de nous les ramener ; regarde, les voilà. Et vous, ma fille, vous, mon fils, venez vous jeter aux genoux de votre incomparable mère. »

Griselidis ne put supporter tant de joie à la fois. Elle tomba sans connaissance, et, quand les secours qu’on lui prodigua lui eurent fait reprendre ses sens, elle prit les deux enfants qu’elle couvrit de ses baisers et de ses larmes, et les tint si longtemps serrés sur son cœur qu’on eut de la peine à les lui arracher. Tout le monde pleurait dans l’assemblée. On n’entendait que des cris de joie et d’admiration, et cette fête, ce festin qu’avait préparés l’amour du marquis, devinrent pour sa femme un triomphe.

Gauthier fit venir au palais de Saluces le vieux Janicola, qu’il n’avait paru négliger jusque-là que pour éprouver sa femme et qu’il honora le reste de