Page:Tarsot - Fabliaux et Contes du Moyen Âge 1913.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

car il en coûte pour faire de jolis récits. Mais malheureusement on devient paresseux. Nos ménétriers se contentent de leurs vieux contes, et ne se piquent plus, comme autrefois, de ragaillardir leurs auditeurs par des nouveautés. Je vais, moi, Messieurs, vous en donner une. C’est une aventure arrivée, il y a dix-neuf à vingt ans, à un riche bourgeois d’Abbeville.

Il était fort riche en argent, meubles et maisons. Mais il entra en querelle avec une famille puissante, et la crainte qu’il eut d’en être persécuté lui fit prendre le parti de renoncer à sa ville et de venir s’établir à Paris avec sa femme et son fils. Là il fit hommage au roi et devint son homme.

Quelques connaissances qu’il avait en fait de négoce, et dont il profita pour établir un petit commerce, lui aidèrent encore à augmenter son pécule. On l’aima bientôt dans le quartier, parce qu’il était officieux et honnête. Il est si aisé quand on le veut, de se faire bien voir, on n’a besoin pour cela que de bonne volonté, souvent il n’en coûte pas une obole.

Le prud’homme passa ainsi sept années, au bout desquelles Dieu retira à lui sa femme. Il y en avait trente qu’ils étaient unis, sans avoir jamais eu ensemble le moindre différend. Leur fils, pendant plusieurs jours, parut si affligé de cette perte, que le père se vit obligé de le consoler. « Ta mère est morte, lui dit-il, c’est un grand malheur sans remède ; prions Dieu seulement qu’il lui fasse miséricorde : nos pleurs ne nous la rendront pas. Moi-même j’irai bientôt la rejoindre, il faut s’y attendre ; à mon âge on ne doit plus se flatter de vivre longtemps. C’est de toi maintenant, beau fils, que dépend ma consolation.