Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/111

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Une autre fois, Monsieur m’indique une petite mosquée, tout à fait derrière la Casbah, près d’un jardin public qui surplombe la route de Saint-Eugène. Cette petite demeure est très jolie pour un saint de Mahomet ; mon maître l’a décrite dans un de ses Voyages. Je me résous à y faire une visite. Je dois enlever mes souliers pour entrer dans le sanctuaire. Dès le seuil, j’entends des plaintes douces et traînantes. Je m’approche et je vois des femmes qui geignent, qui font des gestes bizarres, invoquant sans doute un saint quelconque. En somme, je ne comprends rien à cette mise en scène.

En sortant, je me trouve en face du gardien du square qui m’interpelle : « Y avez-vous compris quelque chose ? » Je lui réponds : « Ma foi, non. — Eh non ! reprit-il sur un ton moqueur, et avec un accent méridional, vous ne pouvez pas comprendre, ne connaissant pas la langue arabe. Tous ces bons enfants de France sont logés à la même enseigne !… Savez-vous ce qu’elles font là, toutes ces femmes, dans des postures si étranges et si risibles ? Eh bien, elles racontent leurs misères au Saint, car les femmes arabes n’ont pas le droit de prier leur Dieu directement ; cet honneur suprême est réservé aux mâles. Du reste, je vous apprendrai que des prières, elles en disent peu ; elles ne viennent là que pour raconter leurs peines, surtout pour médire de leur mari, et elles confient leurs chagrins les plus intimes au Saint. Souvent elles ont raison, il faut bien en convenir, car les Arabes ont toujours à côté de leur femme légitime deux ou trois concubines. »


Le 4 novembre, M. de Maupassant se décide à quitter Alger ; cette ville le fatigue et son appartement lui est devenu odieux à cause des moustiques.