Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/136

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visiter cette île. Bien loin de m’attendre à ce que j’ai vu et appris, j’avais déjà beaucoup marché, j’étais sur le point de tourner sur ma droite pour revenir, tant les sentiers sont difficiles et peu frayés sur le versant sud. Je me dis : « Je voudrais bien tout de même voir le rivage là-bas, à l’extrémité de cet endroit sauvage. » Je continuai donc ma course par un sentier étroit bordé d’arbustes encombrants.

« Quelle ne fut pas ma surprise, quand je vis venir à moi une dame, dans ce coin inhabité presque inabordable ! Je continuai à avancer, elle aussi ; elle était plutôt grande, sa toilette rappelait l’époque 1830, elle se rapprochait toujours. Je me demandais si je ne rêvais pas. Lorsqu’elle fut près de moi, je me rangeai dans les broussailles pour la laisser passer, puis je la saluai. Aussitôt elle me dit : Oh ! Monsieur, je comprends votre surprise de trouver ici dans un endroit si isolé une femme seule ! De mon côté, je puis vous dire que depuis les si longues années que j’habite ici, vous êtes le second parisien que je vois. Ne me dites pas que vous n’êtes pas de Paris ! car je le vois, je le sens, tout en vous me le dit, quoique la mode ait changé depuis le temps où j’habitais ce délicieux Paris. »

« Elle avait dit tout cela sans que je prononce un mot ; elle ajouta que je lui ferais grand plaisir si je voulais lui dire mon nom, ce que je fis. « Voulez-vous, dit-elle, monsieur, venir par ici ? Nous trouverons une route plus large, qui conduit vers la mer. » Nous marchions maintenant côte à côte ; elle reprit la parole : « Je suis très heureuse de cette rencontre et de savoir qui vous êtes ; vous voudrez bien m’excuser de ne pas me nommer. Du reste, mon nom ne vous dirait rien. Ce qui peut vous intéresser, c’est le motif pour lequel