Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conseils utiles que vous m’avez donnés pour les arrangements de vente et d’achat de mes bateaux et principalement pour l’expédition du petit Bel-Ami. C’est que, nous, nous avons toujours l’esprit occupé par le roman qui s’ébauche dans notre tête. Moi, du moins, quoique je lutte parfois pour ne plus penser… Où que je sois, tout ce qui se présente à ma vue, pourvu que ce soit intéressant, devient pour moi un sujet d’étude. De ce fait, nous ne nous appartenons plus qu’en partie et forcément nous devenons inférieurs pour le détail des choses pratiques de la vie courante.

« Encore, moi, je ne me laisse pas prendre complètement, comme Flaubert. Pour lui, rien au monde n’existait en dehors de son travail ; sa prose et sa personne ne formaient qu’un même bloc. Jamais il ne se serait dérangé pour passer chez un éditeur, pour faire rentrer l’argent qu’on lui devait… Je dois pourtant dire que, dans ma jeunesse, je l’ai quelquefois vu très gai ; il savait trouver des réflexions si ingénieuses pour nous faire rire ! Aussi tout jeune, je l’aimais beaucoup, j’avais le sentiment de sa supériorité ; sa bonne figure, ses grands yeux si doux et si expressifs sous son front puissant, tout cet ensemble me charmait, je me sentais attiré vers lui. »

Nous arrivons à Cannes. Devant nous, sur notre droite, apparaissait une propriété superbe avec de grands arbres et, au fond de ce parc, une grande maison qu’on ne distinguait pas entièrement. Mon maître me dit : « J’ai des amis de Paris qui sont sur le point d’acheter cette superbe propriété. »

Le soir, en finissant de dîner, Monsieur me prit à part : « Vous savez, François, j’ai parlé à ma mère ; nous resterons ici, le bateau viendra sur la rade de Cannes