Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/155

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quelque chose qui approchât de la finesse de sa cuisine. »

Nous sommes en juin. M. de Maupassant veut aller faire une saison à Aix-les-Bains avant de partir pour Étretat.

Un soir, en s’habillant pour aller dîner en ville, il m’annonce qu’il doit se battre en duel le lendemain ; il paraissait aussi calme que d’habitude, mais laissait voir sa ferme volonté de corriger ce malotru, qui, me dit-il, « s’est permis, dans un article de journal, de mettre une femme mariée en jeu »…

« Qu’ils disent de mon œuvre littéraire ce qu’ils voudront, déclara-t-il, mais qu’ils ne touchent pas à ma vie privée, car je les relèverai. Aussi, comme je suis l’offensé, j’exige le duel au pistolet à vingt pas, avec continuation jusqu’à ce qu’il se trouve un des adversaires hors de combat. Et je vous affirme qu’avec une bonne arme j’aurai vite fait une caresse à la peau de mon adversaire.

« Cette après-midi, je suis allé au tir chez Gastine-Renette. Sur dix-sept balles tirées, j’en ai mis seize dans le nombril du mannequin et le garçon m’a dit alors : « Monsieur, vous vous exercez pour vous battre, mais c’est bien inutile. Quand on est de votre force, si l’on vous donne de bonnes armes, je plains celui qui sera en face de vous… »

À 11 heures, mon maître rentra ; je l’attendais sans en avoir reçu l’ordre, espérant toujours qu’il surviendrait un incident, et que l’affaire n’aurait pas de suite… Quand il m’aperçut dans la salle à manger, il fut un peu surpris, et me dit : « Ah ! vous êtes là ? Eh bien, vous pouvez aller dormir, c’est arrangé, je ne me bats pas… »