Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/16

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que c’était le travail d’un artiste ébéniste venu du Midi et établi à Étretat…


Je me couchai, mais je ne pus dormir. J’entendais un bruit lointain, puis par moments, tout proche ; c’était la répercussion des vagues qui, à travers le sol, venaient secouer les flancs de ma pauvre caloge hissée sur ses deux murs de briques et la soulevaient encore à chaque lame, comme au temps où elle tenait la mer. Elle avait bien navigué quarante ans, balancée par les vagues, et elle continuait, gémissant à chaque paquet de mer. Après avoir porté des turbots par centaines de tonnes, des maquereaux par centaines de mille, des harengs et sardines par millions, après avoir vogué, paisible, par de belles journées de soleil, et connu aussi les terribles tempêtes, elle était venue échouer à la Guillette, et servait actuellement d’abri au valet d’un grand écrivain.

Le lendemain mon maître me demanda si je me trouvais bien dans ma caloge. Je remerciai. Il me dit les difficultés qu’on avait pour en obtenir, « toutes les villas du pays en voulaient avoir comme chambres d’amis ».

Après son déjeuner, il entre-bâilla la porte de la cuisine en disant : « Nous avons oublié le pain des poissons rouges. » C’était l’heure à laquelle il leur rendait visite. Ils le savaient et l’attendaient tous à la surface de l’eau. Une quantité de petits oiseaux avaient pris l’habitude de participer à la distribution. Ils voletaient autour de mon maître, s’abattaient à ses pieds, si nombreux, si pressés, si confiants, qu’il était obligé de faire attention pour ne pas marcher dessus…


Le temps, magnifique à notre arrivée, se gâte, le vent souffle très fort ; la mer gronde avec violence, nos dix