Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/17

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jours prennent fin et l’on ne peut les prolonger, car le courrier de Paris est tous les jours de plus en plus chargé.

Mon maître fait ses recommandations au jardinier. Il lui donne quelques idées pour le jardin au printemps. Puis, enchantés, nous reprenons la route de Paris, toujours dans le fameux coupé ; c’était ce que le loueur avait de mieux. À la gare des Ifs, mon maître me dit : « L’été, c’est très joli ici, vous verrez. » De fait, cette gare, qui a été prise dans un beau parc, est entourée de grands arbres ; on aperçoit de belles allées et, tout au bout, un château tout blanc, aux toits pointus.

Il ne fait pas chaud. Mon maître bat fortement la semelle sur le quai ; il a horreur des salles d’attente qui, dit-il, « sentent la crasse dans tous les pays du monde ».


À Paris, je fis de mon mieux pour ranger l’appartement. Mais je ne savais par quel bout commencer.

Je trouvais des livres, des brochures, des journaux empilés le long des murs, contre les meubles, même au pied des meubles. Sur les tables, il y en avait des montagnes. Je cirais et astiquais tous les jours, mais c’était peine perdue ; mon maître se promenait de son lavabo à sa table de travail avec des serviettes ruisselantes d’eau.

Un jour que la concierge me montait un paquet de lettres, je lui confiai mon désespoir de ce désordre… Elle me raconta que, peu de temps avant, mon maître, en sortant son revolver de sa poche, s’était envoyé une balle dans le doigt. Toute fière, elle ajouta : « C’est moi qui l’ai soigné. Mais ce qu’il est dur à la douleur ! En voilà un qui peut aller à la guerre, on ne l’entendra pas se plaindre. — Mais, lui dis-je, en 1870, est-ce qu’il n’était