Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vraiment sa mesure, il ne doit penser qu’à son œuvre et être absolument désintéressé.

« Ainsi, voyez Flaubert, dont nous parlions tout à l’heure, c’est sûrement celui qui a fait rendre à la langue française le plus de grâce et d’harmonie. Aussi quelle patience et quel désintéressement ! Comme tant d’autres, il aurait pu publier des romans et se faire des revenus, mais il a préféré suivre sa vocation d’artiste et s’enfermer pendant quinze années pour écrire Salammbô !

« Aussi plus tard, dans cent ans, dans deux siècles, je dirai même quand la société aura passé par des convulsions terribles et que la République vraie aura trouvé sa voie, quand des couches nouvelles assainies et assagies auront surgi des artistes, des littérateurs de premier ordre, eh bien, soyez sûr que presque tous les écrivains de ce siècle seront oubliés, tandis que la belle œuvre de Flaubert apparaîtra en plein rayonnement. Tous les gens intelligents voudront la lire, parce qu’ils sentiront ce qu’on peut tirer d’une œuvre aussi forte et aussi noble. »

Ces dernières paroles, mon maître les prononça très haut, faisant le geste de les lancer dans l’espace.

Nous avions traversé le bois, un village et toute une étendue de plaine ; Monsieur regarda sa montre et dit : « Il est 4 heures 25 ; il nous reste trente minutes pour nous rendre à la gare, dont nous sommes à environ quatre kilomètres. C’est très faisable. Vous y êtes, François ? » Et serrant sa canne dans sa main droite, il prend son pas de grand marcheur.

Arrivés à la gare, nous avons circulé sur les quais pour ne pas nous refroidir, car nous avions chaud. Puis, Monsieur me montra une maison toute couverte de vigne vierge et de lierre : « C’est là, me dit-il, que M. Meissonier, le grand peintre, habite l’été… »