Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/253

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elle est encaissée entre deux grands coteaux, garnis d’arbres plusieurs fois centenaires, et ce ruban d’eau salée, qui vient comme un petit fleuve ordinaire s’enfoncer au sein de la terre, ferait plutôt croire qu’on est au milieu d’une forêt accidentée, si le mouvement du bateau ne vous rappelait pas que vous êtes sur un plancher mobile. Puis il y avait aussi le grand viaduc qui franchit la rivière, mais je ne le regardais pas souvent, la fenêtre de mon amie était du côté opposé… » Là, le conteur s’arrêta…

Raymond est allongé à l’avant du bateau. Son sommeil s’accompagne de sons plaintifs, Bernard veut le réveiller, Monsieur s’y oppose. Pour faire diversion, il m’interpelle : « François qui connaît si bien la Bretagne devrait nous rapporter quelques traits des mœurs du pays. »

Je racontai que j’avais fait un séjour au Huelgoat, un coin très beau du côté des Monts d’Arrée. Là, j’avais vu des rochers d’une beauté remarquable, dont un groupe qu’on nomme le Ménage de la Vierge. Un jour de fête, je me promenais dans un bois des environs de Huelgoat ; je suivais un joli ruisseau qui passait sous bois ; les grosses racines des arbres qui s’enchevêtraient sur ses bords formaient des barrages naturels qui multipliaient jusqu’à la vallée voisine les cascatelles blanches d’écume. Pour compléter la poésie du lieu, des peintres, tapis dans l’herbe, s’immobilisaient devant leurs chevalets et semblaient jouer à cache-cache. On en découvrait à l’improviste un peu dans tous les coins, le long de ce ravissant cours d’eau, tout ombragé de branches aux feuillages légers, aux tons les plus tendres.

« Je marchais toujours un peu au hasard, ne sachant plus au juste où je me trouvais, lorsque j’aperçus,