Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/252

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briller dans la voûte bleue, moirée du côté du levant. Nous sommes assis sur le pont du Bel-Ami, qui est mouillé exactement à la place où se trouvait trois ans auparavant le petit Bel-Ami noir. Mon maître est dans un fauteuil pliant à l’arrière, et, comme il y a trois ans, il regarde la montagne, le sentier tortueux qui en dévale, où il a vu jadis cheminer un couple d’amoureux qui l’avait frappé comme l’image même du bonheur. Il tourne un peu la tête vers le pont et vers le bord de l’eau, où ces deux êtres énamourés étaient venus après leur dîner ; puis il contemple l’auberge et la fenêtre de la chambre où ils s’étaient abrités, où ils avaient fait briller une lumière tôt éteinte.

Sortant de sa rêverie, il dit à Bernard : « Les ai-je bien peints dans mon volume Sur l’eau les amoureux que j’ai vus un soir ici ? Je suis sûr qu’ils ne se doutaient pas qu’ils étaient surveillés d’aussi près. — Eh ! oui, oui », répondit Bernard avec des gestes énergiques d’approbation. Et aussitôt, le voilà qui enfourche son dada favori. Ce brave Bernard ne peut entendre prononcer les mots « amour » ou « amoureux », sans éprouver le besoin de raconter une de ses histoires de jeunesse.

M. de Maupassant le sait très bien et s’en amuse. Cette fois, il nous fait la narration d’un flirt qu’il avait eu avec une cuisinière de Morlaix et il nous explique les signes de ralliement qu’il employait. Il y avait notamment un pot de fleur qu’on mettait à la fenêtre, ou qu’on en retirait, selon les circonstances. Monsieur riait, mais Bernard, très sérieux, continuait : « Ah ! les Bretonnes, oui, Monsieur, elles sont incomparables. Puis, cette rivière où je suis resté pendant quatre mois sur un bateau désarmé, elle est, je vous assure, la plus belle de toutes celles que j’ai vues dans mes nombreux tours du monde ;