Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/255

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laissaient voir tout ce que le Créateur leur avait donné. Les oiseaux, très nombreux à cet endroit, furent-ils offusqués dans leur pudeur par un tableau si peu ordinaire ? Il me fut permis de le croire, car, pendant un instant, ils cessèrent leurs chants, pour le reprendre ensuite avec acharnement. Ils se racontaient, sans doute, ce qu’ils avaient vu… »

Mon maître riait de bon cœur : « Vous avez toujours la chance, me dit-il, d’arriver au bon moment. » Notre hilarité fut-elle bruyante ? Le fait est que Raymond se réveilla du coup.

Monsieur voulut aussi conter la sienne : « J’avais quatorze ans, j’étais au collège d’Yvetot. On nous donnait à boire une affreuse boisson qu’on appelle abondance. Pour nous venger de ce mauvais traitement, un soir, un de nous arriva à mettre la main sur le trousseau de clefs du proviseur. Quand le directeur et les pions furent endormis, nous nous empressâmes de prendre au garde-manger et à la cave tout ce que nous avions trouvé de meilleures marques comme vins fins et eau-de-vie, et, avec mille précautions, le tout fut monté sur le toit de l’établissement, où nous fîmes une bombance de tous les diables… Il était 4 heures du matin quand l’éveil fut donné. Comme j’étais un des meneurs et que surtout je tenais à garder la responsabilité de mes actes, cela me valut la porte. Je n’en fus pas fâché, car, au collège de Rouen où l’on m’envoya ensuite, on était tout de même mieux… »

Passant à un autre ordre d’idées, mon maître dit : « Très belle, la Bleue, ce soir, et comme c’est particulier ce croissant de lune argenté illuminant cette pointe de terre, qui nous sépare presque de la mer ! Et ces sapins clairsemés, on dirait des silhouettes de guerriers, des