Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/256

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sentinelles avancées de quelque corps d’armée !… Et maintenant, mes enfants, si vous voulez, tout le monde va dormir… »

Le lendemain matin, il faisait beau, mon maître était radieux : « J’aime cette mer, me dit-il, sur laquelle je trouve enfin toute mon indépendance. Sur mon bateau, on ne peut pas venir me relancer. Rien n’est bon comme ces belles matinées et ces soirées que nous avons ici. Mais, malgré tout, je pense souvent à la mer d’Étretat, à mes sorties avec les marins du pays et avec quelques amis, parfois par des temps affreux. Rien ne nous arrêtait, nous nous amusions quand nous gravissions des lames monstres avec notre caloge, pour aller au large chercher, soit des turbots, soit des harengs, selon la saison… »


Le 4 août, à 7 heures du matin, je sers le déjeuner de mon maître dans un salon qui a vue sur le port de Saint-Tropez et le golfe, qui est en ce moment tout ridé par une poussée de vent d’Est. Mon maître me dit qu’il a mieux dormi dans cette chambre à terre que sur le bateau. « Vraiment, Raymond dort trop bruyamment ; les ronflements sonores qu’il envoie sont si puissants qu’ils suivent la membrure du yacht et arrivent à mes oreilles tout vibrants, comme s’ils étaient conduits par quelque acoustique ou fil électrique, et cela n’a rien d’agréable… » Il marche en me parlant et en grignotant un croissant ; il va d’un bout à l’autre du salon, qui est très long, regarde par la fenêtre et s’essuie les yeux. Ils sont bien rouges, ses pauvres yeux !…


Le 5 août, vers 2 heures, le Bel-Ami sort du port de Saint-Tropez. Il y a un bon vent d’Est, le travail est facile.