Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/52

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Avril. — Un dimanche, mon maître consulte son agenda :

« Je dîne en ville dit-il, tous les jours de la semaine, excepté mardi. Ce jour-là, j’ai des amis ; vous nous ferez un dîner comme d’habitude ; nous serons quatorze. Puis, vendredi, nous ne serons que quatre, mais je tiens quand même à ce que vous nous donniez un bon dîner ; vous nous en donnerez même deux, un gras et un maigre, car je crois que ces dames font maigre ; le petit monsieur qui sera le quatrième convive fera comme il voudra, il aura le choix. »

Le vendredi, à l’heure du dîner, je vois arriver deux dames d’un chic extraordinaire, très fortes toutes deux, très belles et exhalant sur leur passage les parfums les plus suaves. Puis la sonnette retentit de nouveau, j’ouvre et je me trouve en face d’un collégien ; je le fais entrer au salon. Il se présente très gracieusement, salue d’abord mon maître, puis ces dames de façon un peu gauche, comme un potache ahuri.

Mais il retrouva vite son aplomb à table ; il fut charmant, racontant des histoires de bahut très drôles, comme quelqu’un qui connaît à fond tous les dessous de ces casernes de jeunes gens. Il était beau, avait la bouche très fine, avec un peu de duvet naissant sur la lèvre supérieure, un nez aquilin et les narines sensiblement dilatées, des grands yeux noirs et une chevelure crépue de petit nègre.

Tout le dîner avait été arrosé de Champagne. En arrivant au dessert on était tout à la gaîté ; il y eut même des pieds mignons avancés sous la table et la scène devint des plus comiques. Ces dames attaquèrent de front le jeune sujet, qui ne se laissa pas désemparer ; il leur tint tête sur toute la ligne, et, tout en gardant tou-