Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/53

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jours sa pointe de timidité, il n’hésita pas à leur dire qu’il ne demandait qu’à leur prouver qu’il était un homme aimable et non dépourvu d’une certaine valeur. Elles riaient très fort, s’esclaffaient, mais le collégien riait moins, et semblait prendre son rôle fort au sérieux. Quant à mon maître, il tortillait du bout des doigts un marron glacé niché dans sa petite corbeille de papier ; il ne mangeait plus, ne buvait plus, ne riait pas davantage ; il mordait sa moustache et de temps à autre tirait sa petite mouche et la rentrait dans sa bouche. Soudain il me jeta un regard, ses yeux étaient mouillés et rouges ; il me dit : « François, donnez-nous le café, je vous prie… » À 9 heures et demie, j’allai chercher une voiture pour monsieur le collégien qui devait être rentré pour 10 heures. Mon maître l’accompagna jusqu’à la porte et lui serrant fortement la main, lui dit en appuyant sur ses mots : « Au revoir, mon ami. » Ces dames voulaient savoir qui était ce charmant éphèbe ; elles ne le surent jamais !…

Le lendemain matin, j’apportai le thé de mon maître et me mis à ranger un peu de droite et de gauche. Il me pria de l’aider à changer de place quelques meubles. Tout en prenant ces dispositions, il riait à part lui. Tout à coup il me dit : « Eh bien, François, comment avez-vous trouvé hier le petit collégien ? » Je lui répondis : « Il est tout à fait charmant. » Alors mon maître de rire très bruyamment :

« Ah ! il est charmant ? Mais c’est une demoiselle ! Vous rappelez-vous la petite institutrice qui était venue l’année dernière me demander de la recommander au ministre de l’Instruction publique ; c’est elle !… Ayant obtenu l’emploi qu’elle désirait, elle m’a écrit pour me remercier. Je me suis souvenu de son air gamin et je lui