Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/55

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lapins à faire sauter dans vos casseroles. Il faudra aussi que je visite les maisons de ma mère à Étretat. Je vous demanderai de bien vouloir m’aider un peu, afin de veiller à ce qu’elles soient bien garnies de tout ce qu’il faut, au moins du nécessaire, pour arriver à louer cette année ces malheureux immeubles. »

Le 16 avril, mon maître me dit : « Nous partons demain pour Étretat. J’ai écrit à Cramoyson de faire du feu ; j’emmène un ami, M. B… Il ne connaît pas la Normandie, il va la voir pour la première fois sous un de ses plus jolis aspects. »

Le 17 avril, à 10 heures et demie, nous arrivons aux Ifs ; le coupé traditionnel nous attend. Après avoir fermé les portières, je monte sur le siège ; il fait très beau, ces messieurs ont baissé toutes les glaces ; j’entends très bien leur conversation. Nous arrivons en face d’un carré normand, tous les arbres à fruits sont en fleurs ; je demande au cocher de ralentir, ce qu’il fait de très bonne grâce, trop heureux, me dit-il, de faire plaisir à M. de Maupassant. Alors ces messieurs peuvent admirer à l’aise ce beau décor. L’ami de mon maître était ravi, enthousiasmé, à la vue d’une telle quantité de fleurs roses, mauves, violettes, blanches qui formaient d’immenses nappes colorées de teintes plus douces et plus fraîches les unes que les autres, enserrées dans un énorme cordon de verdure naissante. C’est ce cordon qu’on appelle fossés en Normandie. Entourés de ces bouquets ravissants, on entrevoit, par-ci par-là, quelques toits de chaume chargés de mousse brune et argentés de lichen. Par la trouée de la charmille, qui fait l’entrée de la ferme, tout ce bel ensemble se découvre sous un ciel bleu très pur, merveilleux. L’ami de mon maître ne cesse de répéter : « Est-ce joli, est-ce joli ! C’est féerique ! »