Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/65

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Antibes. 1885-1886. — Nous avons quitté Étretat le 25 novembre, et après un séjour de quelques semaines à Paris, le temps nécessaire pour que mon maître mette ses affaires d’éditeur en ordre, nous étions, la veille de Noël, en possession de la Villa Muterse dans le cap d’Antibes. Cette maison, déjà ancienne, a d’un côté l’aspect d’un long mur ; aucune issue, ni fenêtres, ni portes ; la façade regarde le Sud et donne sur une grande cour bordée de très beaux bouquets d’arbres. On aperçoit des champs, de belles vignes en rapport, plus loin des oliviers, et tout là-bas, au bout du cap, un grand phare blanc.

L’hiver était doux ; tous les jours après son déjeuner, mon maître venait s’asseoir avec sa mère sur un banc placé devant le salon, en plein soleil et bien abrité de cet air froid du Nord, qui descend parfois des Alpes couvertes de neige, si éloignées en apparence lorsqu’il fait beau, et si rapprochées les jours assez rares où les cimes retiennent les nuages.

Sur ce banc, mon maître est si heureux d’être seul avec sa mère ! Tout à leur aise ils discutent la charpente d’une future nouvelle ; on remanie le plan, puis on arrive à se mettre d’accord, et alors mon maître s’écrie en riant : « Voilà qui est parfait, ma nouvelle retombe d’aplomb sur ses pattes comme le chat du concierge. » Ce chat faisait en effet avec mon maître des parties de jeux sans fin sur le banc et cette petite bête, qui paraissait si triste lorsque nous sommes arrivés, a vite compris qu’elle avait trouvé un compagnon et un ami. Aussi était-elle tous les jours fidèle au rendez-vous et ne se lassait pas de ces bonnes parties. Il était si joli, ce minet à la fourrure douce et épaisse, blanc et gris foncé, avec sa petite tête où brillaient des yeux jaunes vraiment intelligents ! Cela