Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/67

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Mme de Maupassant raconta alors à son fils une de ses courses au fond de la Corse sauvage où elle avait vu ce même travail, fait par des êtres plus étranges encore. « Ils avaient, disait-elle, des costumes que je ne puis te définir, mais qui, je t’assure, auraient fait peur à tout autre qu’à moi. Si tu voyais ce spectacle, tu aurais plus que de la poésie, tu aurais la sensation de l’extraordinaire. Il y a aussi dans ce pays des oliviers monstres ; parfois, leur tronc est si incliné qu’il revient toucher la terre, la suit pendant plusieurs mètres, puis repart, montant droit comme un arbre rajeuni. »

Je dois dire que Mme de Maupassant ne connaissait pas la peur ; elle avait parcouru toute seule et à pied, sa grande canne à pic à la main, l’Italie dans tous les sens, pénétrant jusque dans les coins les plus reculés. Elle avait exploré aussi une partie des Deux-Siciles, puis la Corse qu’elle affectionnait par-dessus tout, car elle y avait trouvé des impressions particulières conformes à son tempérament, des paysages absolument sauvages, d’une beauté primitive, puis « les rochers et la mer qui se marient là comme nulle part ailleurs », disait-elle, « et donnent un ensemble qu’on n’oublie pas ». Il ne se passait pas de jour que Madame ne parlât de bandits et de vendetta, toujours avec cet enthousiasme qui lui était si particulier, faisant à son fils le tableau des choses qu’elle avait vues et cela dans une langue qui n’appartient qu’aux véritables lettrés ; dans ses récits, ses expressions rappelaient tout à fait la manière de Flaubert.

Souvent, le soir, quand mon maître était absent, elle nous racontait à moi et à Marie, sa femme de chambre, des scènes fantastiques dont elle avait été témoin pendant ses deux années de séjour en Corse. Parfois, elle mettait tant d’impétuosité à nous redire ces aventures si