Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/13

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comme une almée, et ces exercices chorégraphiques le plongeaient dans le ravissement.

Quand Wladimir faisait à ses amis du groupe spirite des confidences sur les allégresses de son intérieur, ceux-ci le félicitaient et même accueillaient ses révélations avec des transports d’enthousiasme ; mais, à peine avait-il le dos tourné, qu’ils murmuraient tout bas entre eux :

— Wladimir est devenu fou !

Grande était leur erreur. Les phénomènes auxquels cet homme assistait pouvaient être incohérents, grotesques, extravagants ; mais ils étaient réels. Toutes les personnes qui ont vu des maisons hantées peuvent dire que le surnaturel diabolique atteint souvent les derniers degrés du ridicule.

Mais c’est ici que l’on constate comment la supercherie grossière vient parfois se mêler au pur diabolisme.

Quelque chose manquait au bonheur aveugle de Wladimir. En somme, il n’avait pas la moindre idée de la forme réelle de sa femme-esprit. Il ne connaissait que sa table-gigogne, laquelle était tout simplement une enveloppe matérielle, dénuée de toute poésie.

À ce sujet, il s’ouvrit à Leymarie, qui en conféra secrètement avec Buguet, photographe et médium pseudo-spirite. Peu après, les deux compères se concertaient et arrêtaient un projet, bientôt mis à exécution. Il s’agissait de mystifier Wladimir dans de vastes proportions.

Buguet fabriqua un mannequin enveloppé de gaze, et Leymarie persuada au mari de la table-gigogne d’aller se faire photographier chez Buguet. Une formule particulière d’évocation fut rédigée, grâce à laquelle la femme-esprit apparaîtrait auprès de son époux, au moment où celui-ci poserait devant l’objectif.

Wladimir, tenaillé par le désir de savoir à quoi s’en tenir sur la forme vraie de sa jovienne conjointe, se laissa volontiers convaincre. Buguet le portraictura, et, tandis que Wladimir, les yeux fixés sur l’appareil, obéissait au commandement : « Attention ! ne bougeons plus », un complice, dissimulé derrière lui, mit rapidement en pose le mannequin recouvert de gaze, réussit à disparaître sans bruit avant la fin de l’opération, et Wladimir eut ainsi une photographie lui donnant pour compagne une femme-fantôme, assez vague, mais dont il se déclara satisfait.

Telle fut l’origine des photographies spirites, qui conduisirent plus tard en correctionnelle les coryphées du pseudo-spiritisme parisien. Une supercherie avait été greffée sur du diabolisme réel. Finalement, Wladimir se lassa de cet hymen par trop platonique. Sa femme-esprit, cessant un jour d’être jalouse, lui rendit sa parole, se laissa fléchir par ses supplications, promit de ne pas entraver une quatrième union,