Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/287

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« Quinze jours à peine s’étaient écoulés, que Picart (le directeur du couvent de Louviers) prit quelque prétexte d’aller au jardin, où j’étais avec quelques-unes des religieuses. Pour lors, j’avais l’incommodité de mes mois. Il nous suivit, et comme nous fûmes arrêtées en certain endroit, il prit une Hostie dans un livre qu’il portait, avec laquelle il recueillit quelques grumeaux du sang tombé à terre. Après, il l’enveloppa dedans, et m’appelant à lui vers le cimetière, me prit le doigt pour lui aider à mettre le tout dans un trou proche d’un rosier. Les filles qu’on exorcise ont dit que c’était un charme, pour attirer les religieuses à la lubricité. Je n’en saurais que dire… mais il est certain que, pour mon cas particulier, j’étais fort encline à aller en ce même lieu où j’étais travaillée de tentations sales et tombais en impureté. »

Elle reconnut aussi devant le lieutenant-criminel qu’elle avait fait, sous la direction du même Mathurin Picard, neuf ou dix charmes composés d’hosties consacrées mêlées avec des crapauds, du poil du bouc du sabbat et d’autres choses si honteuses que l’honnêteté ne permet pas de les nommer ; qu’elle et Picard avaient piqué des hosties consacrées apportées au sabbat ; on les perçait, souvent il en sortait du sang, qui servait à la composition des charmes de lubricité.

On peut distinguer plusieurs sortes de charmes : — les charmes meurtriers à l’aide desquels on donne la mort aux hommes ou aux animaux ; — les charmes purement nuisibles, dont on se sert pour détruire les fruits de la terre, pour faire tomber la pluie, disposer des vents et de la foudre, etc. ; — les charmes curatifs ou guérisseurs ; — enfin les charmes propres soit à engendrer ou à exalter l’amour, soit à l’affaiblir ou à l’abolir. Ces derniers prennent le nom de philtres.

Objets ou paroles enchantés par le pouvoir infernal du magicien, c’est en somme à quoi se réduit le charme. Ce sont là proprement les sacrements du diable, inventés par lui à limitation des sacrements de l’Église.

« Lorsque les démons s’insinuent dans les créatures, dit saint Augustin (Cité de Dieu, XXI, ch. VI.), ils sont attirés par des charmes aussi divers que leur génie. Ils ne cèdent point, comme les animaux, à l’attrait des aliments ; mais, en tant que natures spirituelles, ils se rendent à des signes conformes à la volonté de chacun. Aussi, les voyez-vous affectionner différentes espèces de pierres, d’herbes, de bois, d’animaux, d’enchantements ou de rites. Afin donc d’engager les hommes à les attirer à eux, ils commencent par les séduire, soit en versant dans leur cœur un poison secret, soit en leur offrant l’appât d’amitiés perfides ; et de la sorte ils se forment un petit nombre de disciples qui deviennent les maîtres des autres. Comment savoir, en effet, s’ils ne l’eussent eux-mêmes enseigné, ce qu’ils aiment ou ce qu’ils abhorrent, le nom qui les attire ou qui les contraint, tout l’art enfin de la magie, toute la science des magiciens ? »