Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/412

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Ah ! je reconnais que le discours-modèle de l’orateur aux sœurs maçonnes nouvellement reçues ne compromet nullement la secte, si l’on n’en pèse pas tous les termes ; il n’est pas le premier venu, celui qui a rédigé cette prose-là. Tout mauvais cas étant niable, la maçonnerie peut nier, si, armé seulement de ce discours, on lui dit nettement ce que signifie la bienfaisance de ses sœurs.

Mais, il ne faudrait pas que le speech en question vînt après un interrogatoire des récipiendaires, interrogatoire dont les demandes entraînent, à la suite des réponses, certaines définitions sous forme de réplique, fixées par les rituels ; et cet interrogatoire de la postulante n’est pas banal. On la met en garde, notamment, contre la jalousie.

« La jalousie, lui a-t-on dit tout à l’heure, est le dépit, le chagrin qu’on a de voir posséder par un autre un bien qu’on voudrait pour soi. La jalousie tient plus à la vanité qu’à l’amour. » (Rituel de Ragon, page 24).

« La jalousie est surtout causée par le désir de la possession exclusive ; le jaloux se trouve livré à un véritable tourment par la seule idée du partage. Toutes ces craintes se fortifient l’une contre l’autre, en se mêlant dans son esprit ; aussi une personne jalouse est-elle constamment assiégée de soupçons et de fantômes. On ne saurait donc trop refréner cette passion. » (Rituel de La Jonquière, page 56 ; Mss. n° 45 de la Grande Loge d’Édimbourg).

Il ne faudrait pas non plus que la petite fête, suivant l’initiation et ses harangues, se clôturât par le chant du « cantique » d’Eva, licencieux au plus haut degré, impossible à reproduire dans une publication comme celle-ci. (Rituel de Ragon, pages 37, 38, 39).

En rapprochant donc du discours du F∴ orateur les étrangetés rituelles qui le précèdent et le suivent, il est facile de voir que la bienfaisance réclamée des sœurs maçonnes, et même à elles imposée, n’a aucun rapport avec l’exercice de la charité, mais est uniquement la mise en pratique de cette amitié désintéressée et collective, sans rivalités ni jalousie, dont on a tout d’abord tracé le grand éloge.

Encore, malgré son habileté, l’artificieux auteur du speech-modèle a laissé échapper quelques mots qui livrent le honteux secret ; sous la peau de la brebis, l’oreille du loup perce, en dépit de toutes les précautions prises.

Est-ce la charité, cette bienfaisance qui s’applique à faire le bonheur de ceux qu’elle a choisis pour être l’heureux objet de ses complaisances ?… La charité court partout où il y a une misère à secourir qu’on lui signale ou qu’elle découvre ; elle n’a pas de complaisances, elle ne choisit pas.

Enfin et surtout, le f∴ orateur déclare que cette bienfaisance a une dernière obligation dans sa mise en pratique : elle doit s’inspirer du principe de « la douce égalité, mère du bonheur dont jouissent les vrais enfants de la