Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/423

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trouvé un prétexte quelconque pour faire une fête. Or, comme la maçonnerie, disent les sectaires, n’a pas à se cacher, ou du moins doit de temps en temps se montrer, pour que s’écroulent les calomnies des cléricaux, on invitera ce jour-là des profanes à la fête ; ils jugeront ainsi ce qu’est l’association !

On distribue aux frères de la loge des cartes d’entrée, pour leurs parents et leurs amis profanes ; plus on sera de braves gens, et mieux cela vaudra. Aussi les profanes viennent-ils en foule, messieurs et dames, chacun payant son écot. On écoutera une petite conférence ; les louveteaux et louvetonnes réciteront des fables ; après quoi, l’on banquètera joyeusement ; et puis, on dansera. Délicieuse fête ! Ah ! comme elle fait bien les choses, la grande famille maçonnique !… Non certes, les profanes des deux sexes ne manquent pas ; ce sera tout drôle de pouvoir dire le lendemain qu’on a diné et valsé chez des francs-maçons.

Chacun s’empresse. On vérifie si chaque profane qui se présente, au milieu de la cohue des frères, est bien muni d’une carte contresignée par un membre de l’atelier. Les sœurs (les pseudo-sœurs) arborent leurs cordons bleus, d’un modèle unique ; les profanes se les montrent. « Tiens ! voilà des sœurs maçonnes. » Et les dames à cordons circulent dans les groupes, avec un noble orgueil, sentant qu’elles sont quelque chose. Celles d’entre elles qui sont mamans promènent leur fillette ou leur garçonnet. « C’est un louveteau, disent-elles en riant ; il a reçu le baptême maçonnique ; quand il aura dix-huit ans, il pourra être reçu Apprenti ; il sera un bon franc-maçon, comme son père ! » On admire à la ronde louvetonnes et louveteaux. C’est charmant.

Mais là, ce que les membres de la loge androgyne seuls savent, là, mêlées aux dames profanes invitées, sont les vraies sœurs-maçonnes, celles du comité : la grande-maitresse, la sœur inspectrice, la sœur dépositaire, la sœur d’éloquence, la sœur de la plume, la sœur élémosinaire et la sœur introductrice. Toutes sept, elles vont et viennent, elles aussi, mais sans le moindre insigne. Elles ont été invitées, comme simples amies, par les frères qui sont dans le secret. Oh ! très convenables, ces dames, et passant, du reste, complètement inaperçues. Elles ne cherchent pas à attirer l’attention sur elles ; elles sont fort réservées, avenantes toutefois pour les frères que le Vénérable leur présente et qui seront tout à l’heure leurs cavaliers ; car elles sont venues par deux ou trois ensemble, accompagnées par un seul maçon qui leur a fait donner l’entrée.

Les rares frères qu’on leur présente ainsi, — jamais plus de trois à une fête, — sont ceux qui, pourvus du grade de Compagnon et ignorant encore l’existence de la loge-annexe, ont été jugés dignes, par leurs collègues cachottiers, de recevoir enfin la délicate confidence. Ils sont loin de se douter de la nouvelle faveur dont ils ont maintenant quelque chance de devenir l’objet.