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assertion sera confirmée par ce que j’aurai à dire tout à l’heure d’un autre disciple de Martinez, l’abbé Fournié.

Quant au culte même de Satan, c’est-à-dire aux moyens d’opération qu’il employait, aucun de ses disciples ne s’est permis de les dévoiler. Tout ce que nous savons, c’est que ces opérations étaient compliquées. Saint-Martin, un jour qu’il avait été admis à y assister, étonné des grands préparatifs dont il les faisait précéder, ne put s’empêcher de s’écrier : « Comment, maître, il faut tout cela pour le bon Dieu ? » — Et le maître répondit : « Il faut bien se contenter de ce que l’on a. »

« À l’école de dom Martinez, dit Matter[1], celui qui fait le mieux connaitre en lui le théurge, ces opérations jouaient un grand rôle. Ce qui me porte à croire qu’on les y considérait comme une sorte de culte, c’est que ce terme est resté cher à Saint-Martin, qui, par une singulière contradiction, n’aimait guère ces opérations et adoptait néanmoins le mot opérer pour désigner la célébration de la sainte-cène et du baptême. »

Seulement, Saint-Martin, qui n’était pas allé jusqu’au bout, avait tort de considérer ces opérations comme les préludes et la préface de l’initiation, tandis qu’elles en étaient, dans le système de Martinez, la véritable fin et le couronnement. « Je ne vous cache pas, écrivait-il à un de ses correspondants, que j’ai marché autrefois dans cette voie seconde et antérieure, qui est celle par où l’on m’a ouvert la porte de la carrière. »

Saint-Martin ne fut qu’un demi-initié. Nous avons, sur la méthode théurgique et magique de dom Martinez, des révélations bien plus précises de la part d’un de ses autres disciples, qui semble avoir été bien plus avant dans la confiance du maître, l’abbé Fournié.

Clerc tonsuré du diocèse de Lyon, l’abbé Fournié s’attacha à Martinez pendant le séjour de celui-ci dans cette ville, le suivit à Paris, s’abandonna candidement à la direction spirituelle du cohen ou prêtre illuminé, s’efforçant nous allons voir au prix de quelles luttes et de quelles terreurs, de concilier avec le catholicisme les croyances et Les pratiques de l’illuminisme.

Né vers 1738, l’abbé Fournié connut Martinez vers 1760 ; il vivait encore en 1819. Réfugié à Londres pendant la Révolution, il y continua ses études théosophiques et y publia en 1801 un livre devenu fort rare, intitulé : Ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous deviendrons. Ce livre n’est que le panthéisme de Martinez, traduit par une plume ecclésiastique, en apparence moins imprégnée de cabalisme, mais d’autant plus dangereuse qu’elle semble inspirée du plus parfait, du plus raffiné christianisme. C’est le poison du faux mysticisme dans toute sa mortelle saveur. Pour quiconque sait lire entre les lignes, — car il est certain que l’abbé ne dit que ce qu’il

  1. Saint-Martin, le Philosophe inconnu, 1862.