Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/510

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CIRCULAIRE, adressée aux trois Grandes Loges de Berlin par les Maçons israélites de Prusse, et traduite de l’allemand par le frère V. L.

« … Qu’il ne vous étonne pas que nous, qui ne sommes pas reconnus par vous comme maçons, nous nous adressions pourtant à vous comme à nos frères. Nous connaissons trop bien les principes élevés de l’Ordre et l’esprit de la Franc-Maçonnerie, et nous attachons un prix trop grand à être reconnus par nos frères éclairés, pour ne pas tendre une main fraternelle, même à ceux qui nous repoussent de leurs temples, quoique nous soyons des maçons réguliers.

« … C’est par une conséquence naturelle de notre position, que nous ne comparaissons pas devant vous comme des suppliants qui implorent un bienfait, une grâce, mais comme des gens qui s’appuient sur le droit que leur a donné l’initiation dans l’Ordre, et qui sont pénétrés de l’esprit de la Maçonnerie, que, grâce au Grand Architecte de l’Univers, ils savent estimer à son juste prix.

« Ce que dans le monde profane nous trouverions dangereux, notre position de faibles vis à-vis des forts, ne saurait nous faire reculer dans le monde maçonnique… La Franc-Maçonnerie se dit une association cosmopolite ; ses efforts tendent à ce but, de déraciner les préjugés, la haine et la discorde, et de semer l’amour en leur place. Comment le temple de l’amour et de la lumière s’élèvera-t-il jusqu’au faite, quand on sape les fondements de l’édifice, quand l’égoïsme se glisse dans les ateliers, quand les ouvriers ne possèdent pas assez de force pour rompre les fers rivés par l’habitude, et quand la Franc-Maçonnerie se dégrade au point de tendre la main au prosélytisme religieux ?

« Le franc-maçon, qui doit être l’exemple de son siècle, qui se vante d’avoir compris comme il faut cette parole sublime de la création : Que la lumière soit ! le franc-maçon, qui appelle l’Orient son foyer, devrait voir plus clair ; il devrait répandre la lumière, mais non pas augmenter l’obscurité, dans laquelle la vie profane marche encore à tâtons…

« Si vous posez en principe qu’il est contraire à l’esprit de la Maçonnerie d’y admettre des israélites, vous ne pouvez reconnaitre comme ateliers véritablement maçonniques toutes les Grandes Loges qui sont d’une opinion opposée ; vous devez regarder comme faux francs-maçons qui nuisent à l’Ordre, l’illustre grand-maître des loges anglaises, le duc de Sussex, et l’illustre grand-maître des loges néerlandaises, le prince Frédéric, lequel a publié sa confession maçonnique dans son écrit sur les hauts grades de l’Ordre, du 24 janvier 1820, ère vulgaire.

« Il est vraiment étonnant que, pendant que l’idée de la liberté de conscience s’introduit de plus en plus dans l’Europe civilisée pendant que le principe de l’égalité des sectateurs de chaque religion trouve partout un écho, des loges maçonniques restent stationnaires au milieu du monde civilisé et malgré ces grands progrès. Il est étonnant que, pendant que la Russie fait un pas remarquable vers l’émancipation des israélites, les réunions maçonniques de la Prusse se cramponnent, avec une obstination à toute épreuve, aux préjugés surannés des siècles de ténèbres[1].

  1. Il n’y avait pas que les grandes loges de Berlin qui se faisaient tirer l’oreille pour admettre les juifs ; dans d’autres loges allemandes, on ne les recevait que secrètement et par une porte de derrière ; ainsi, en 1811, la loge Horus, de Breslau, recevait pour la première fois ouvertement un israélite. On écrivait du Hanovre au Monde maçonnique : « Jeudi, 5 décembre 1871, nous reçûmes le premier juif, non par la porte de derrière, mais selon la loi. »