Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/53

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diable qu’ils demandent ces connaissances intérieures, ces révélations sur l’avenir. Ils ne s’arrêtent pas à Cagliostro, mais ils remontent à Artémidore, à Platon, à Homère même, pour mieux déjouer la curiosité du public profane. Ils reprennent et commentent la fameuse allégorie homérique du Temple du Sommeil aux deux portes, l’une de corne, par où passent les songes véritables, révélations du monde invisible ; l’autre, d’ivoire, par laquelle entrent les songes vains et illusoires. Ils vont jusqu’à indiquer les moyens pour le songeur de se procurer des songes de la première espèce, qui sont de trois sortes : les songes sentis, ou les sensations divines ; les songes vus, ou les visions, et les songes ouïs, ou les oracles. Pour ne pas effaroucher le profané entre les mains de qui pourrait tomber un de ces livres maudits, on y imprime que les règles prescrites pour se procurer ces songes sont empruntées à Cicéron et à saint Bernard. La première et la plus essentielle, c’est d’être pur d’âme et de corps ; pour comprendre, il faut lire « pur selon Lucifer », purifié par le baptême du feu et après avoir élevé son âme vers le Dieu-Bon.

Quant à la nature des songes, il en est de clairs et d’obscurs. Les premiers n’ont pas besoin d’interprétation : « Il n’est pas rare, par exemple, écrit un rédacteur de l’Initiation, de rêver la mort d’une personne chère, parente ou amie, dans la nuit et à l’heure même où elle a lieu. » En ce qui concerne l’interprétation des songes obscurs, les mages dont il s’agit la laissent faire par chacun à sa guise ; « c’est, disent-ils, plutôt affaire d’intuition que de raisonnement. » Mais ils reconnaissent que « tout le monde n’est pas apte à discerner les inspirations divines des naturelles. » À les entendre, « cette science d’interprétation est le privilège de ceux qui vivent saintement. » Lisez : il faut être un des plus fanatiques parmi les initiés de l’occultisme.

Pour ce qui est de leurs recettes, elles ne sont données que verbalement : il faut, afin d’avoir ces songes révélateurs, se rendre le plus possible digne de Dieu (le dieu Lucifer). Nous n’en sommes plus aux recettes des magiciens d’autrefois « pour se procurer telle espèce de songes que l’on voudra, même les plus délicieux. »

Telle est celle-ci, donnée par Pierre Mora, dans un grimoire intitulé Zeherboni, vieux manuscrit qui est conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal :

« Prenez une demi-once de priape de cerf ou plutôt de nature de biche calcinée, trois onces de crâne de loup aussi calciné, une once de terre sigillée et deux dragmes de bol d’Arménie, de la noix muscade at de la racine de grande consoude, trois dragmes de tragacanthe, avec une demi-dragme de sel de nitre. Mêlez le tout et pulvérisez-le bien dans un mortier. Manière de s’en servir : Il faut ou s’en saupoudrer le sommet de la tête ou le distribuer en saquets d’une demi-once. »