Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/111

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noms en toutes lettres ? pourquoi ses divulgations, jusque-là courageuses, se sont-elles arrêtées ? D’autre part, M. Adolphe Ricoux imprime les noms des dix Mages Élus du Sérénissime Grand Collège ; mais il ne donne sur aucun d’eux pas le moindre renseignement, et cependant on comprend, en lisant cet auteur, qu’il a été bien informé sur les chefs de Charleston.

Il m’appartiendra, en conséquence, de combler toutes ces lacunes. Je me suis promis de faire la lumière complète. Je nommerai, moi, Maçons et Maçonnes en toutes lettres, ou, tout au moins, ceux et celles qu’il sera nécessaire de nommer. Les Walder sont du nombre.

C’est donc en octobre 1880 que je vis pour la première fois Philéas Walder, à Calcutta ; il avait alors cinquante-huit ans. Il est de taille plutôt grande que petite, mais de buste court ; il parait petit, lorsqu’il est assis, étendant devant lui d’assez longues jambes ; sitôt qu’il est debout l’aspect change. La physionomie est dure, légèrement allongée ; les yeux sont glauques et d’une expression indéfinissable ; la bouche est édentée ; le front est vaste, sous une chevelure postiche. La parole est brève, cassante. Quand on cause avec lui, il a une manie : de la main gauche, il vous tient par l’habit, vers une boutonnière, et constamment, en gesticulant, il agite son bras droit, par saccades, le poing fermé ; on croirait qu’il veut vous boxer, s’il n’écartait le poing dans chacun de ces mouvements brusques.

Il se rendait en Europe, accomplissant une tournée d’inspection ; il avait laissé sa fille à Charleston.

Né dans un canton de la Suisse allemande, Philéas Walder a, d’abord, été pasteur luthérien. À vingt-sept ans, il démissionna, on n’a jamais bien su au juste pourquoi. Il habita quelques années l’Alsace et s’y fit anabaptiste. Dans cette secte, il fut un des plus fanatiques ; il prêchait l’hérésie, non pas sous la forme modérée de Mennon Simonis, mais violemment et en conformité avec la doctrine de Jean de Leyde. Pour être saint, selon lui, il fallait rejeter toute loi extérieure ; la Bible elle-même était inutile ; il donnait à ses adeptes le baptême du feu ; il les faisait communier avec une tranche de rôti et une chope de bière ; il se prétendait inspiré directement de Dieu, et, lorsque ses inspirations contredisaient la Bible, c’était, affirmait-il, qu’il y avait falsification dans celle-ci. Au surplus, il était loin d’avoir de bonnes mœurs ; il soutenait publiquement que les hommes et les femmes ne doivent s’unir entre eux que par des liaisons passagères et simultanément multiples.

Il demeura anabaptiste trois années seulement. En 1852, la renommée des mormons de l’Amérique du Nord commençait à devenir tapageuse. Brigham Young, le second chef de la secte nouvelle, chassée de l’Illinois