Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/151

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maître ; chat, si tu es vraiment chat, reste chat ; mais, si tu es âme réincarnée, deviens âme libre ; le feu sacré t’attend, qui te réunira définitivement à notre dieu…

L’animal n’eut pas l’air de comprendre. Il regardait l’officiant d’un air tel, que celui-ci en fut effrayé et ne put s’empêcher de reculer instinctivement. Puis, tendant l’index vers le félin, il prononça rapidement des paroles mystérieuses. Mais le chat se tenait toujours sur la défensive, siphonnant du gosier avec colère, ses yeux louchant d’une façon des moins rassurantes.

Alors, le grand-maître fit un geste à l’un des Indiens. L’homme se dévoua, se précipita sur la bête affolée et furieuse, et s’en empara au prix de terribles égratignures ; car l’animal gros et vigoureux opposait une résistance désespérée. Enfin, l’Indien, dont la poitrine et le visage ruisselaient de sang sous les coups de griffe, parvint à asséner, sur la tête du malheureux chat, condamné à mort par une superstition ridicule, un coup de poing qui l’étourdit un moment. Le grand-maître officiant profita aussitôt de cet étourdissement passager ; sur son ordre, le chevalier grand-lieutenant prit le chat par la peau du cou et le bas de l’échine, et, le balançant d’abord, il le lança dans la fournaise. Incontinent, la pauvre bête rissola, en nous jetant un dernier regard furibond et en faisant retentir un grand cri.

C’était fait. Ces Indiens cruels et imbéciles, dont les croyances stupides et le fanatisme sont entretenus avec soin par les Anglais protestants et francs-maçons, venaient, pensaient-ils, de libérer une âme emprisonnée dans le corps d’un animal et de la réunir à leur dieu.

Le grand-maître attendit quelques instants encore, pour voir si quelque âme de ce genre viendrait ; aucun autre animal ne s’aventura dans le temple, malgré le silence dans lequel l’assemblée persista, et force fut de lever définitivement la séance. On partit, laissant le feu s’éteindre de lui-même.

Néanmoins, la solennité n’était point terminée ; il nous restait encore à rendre visite au charnier de Dappah ; la, on devait « sauver des âmes », non plus isolément, mais en grand nombre.

J’ai déjà montré, en quelques mots, ce qu’est la plaine de Dappah ; pourtant, il est nécessaire d’en reparler, pour de plus complètes explications.

Nous n’étions pas bien loin de ce désert pestilentiel. C’est un terrain plat, d’une étendue invraisemblable, aride, transformé en marécage boueux pendant la saison des pluies et en champ de poussière durant la saison sèche. Là sont jetées pêle-mêle toutes les immondices de Calcutta et des environs ; immondices de choses comme immondices hu-