Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/233

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Mais ce qui nous stupéfia, ce qui plongea les assistants dans plus ou moins de surprise, ce fut le spectacle, qui s’offrit à nos yeux. Il n’y avait plus une chaise, plus un fauteuil, plus une banquette sur le sol ; tout le mobilier du temple était en l’air, les chaises accrochées aux tentures ou dans les corniches, les banquettes attachées aux lustres ; le petit autel pentagonal était couché sur le dôme de la chaire ; la balustrade de la tribune où se trouvait l’orgue était arrachée et pendait ; l’orgue lui-même avait été remué, manipulé, mis en travers, saillant des deux cinquièmes hors de la tribune, y tenant tout juste assez pour ne pas perdre l’équilibre ni s’écrouler sur nos têtes ; le tableau de la mort du Christ avait quitté l’Orient, il était comme vissé au plafond.

Par ce désordre extravagant, les esprits avaient prouvé leur présence ; car il était impossible que tout ce remue-ménage fût l’œuvre de mains humaines, ayant été opéré en si peu de temps, sans déranger personne ; si des frères servants eussent été les ouvriers de ce bouleversement, il leur eût fallu circuler parmi l’assistance, manier des échelles ; leurs manœuvres n’auraient pas pu passer inaperçues ; en outre, le temps normal leur avait absolument manqué.

Le grand maître improvisa un bref discours, que nous écoutâmes debout. C’était une paraphrase explicative de ce que nous venions de voir. Sa voix aigre montait, monotone, vers la voûte et retentissait dans le silence.

Il avait pris pour texte l’hostie, le sacrement eucharistique, le pain sacré dans lequel Dieu se donne aux fidèles, et que les misérables lucifériens meurtrissent par le plus épouvantable des sacrilèges. Il discutait le dogme catholique ; et, dans sa dissertation ambiguë, à la fois embarrassée et impudente, il se contredisait sans cesse. Tantôt il niait la présence « d’Adonaï et de son Christ », comme il disait, dans l’eucharistie ; tantôt, il faisait l’apologie des profanations les plus horribles de l’hostie. Il ajoutait que le Dieu Bon venait de faire la démonstration frappante de l’inanité du sacrement eucharistique ; il avait montré, sur le mur, l’hostie des catholiques roulant, roulant, puis éclatant, afin que chacun pût comprendre aisément qu’il n’y avait aucun cas à faire de ce pain mystique ; et c’étaient des blasphèmes effroyables !

Il commenta aussi l’apparition de la poule noire et du serpent ; nous venions de voir, nous dit-il, sous un emblème merveilleusement produit, la lutte entre les deux religions, celle d’Adonaï et celle de Lucifer, et, comme nous devions l’avoir compris, c’était sûrement la seconde qui aurait le triomphe final et qui même détruirait l’autre totalement.

Enfin, en apposant leurs signatures sur le mur, les génies de la lumière, les esprits du feu avaient entendu donner aux maçons du rite palladique des témoignages visibles de leur sympathie.