Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/246

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poignards, des aiguilles acérées, des épines, des clous, des ciseaux, et sans un mot, sans un cri, chacun se met en devoir de se blesser, de se déchiqueter. Qui se coupe le lobule de l’oreille, qui se fend le nez, qui la lèvre, tel autre se traverse le bras, quelques-uns enfin se crèvent un œil ; et tout cela, toujours dans le plus religieux silence, troublé seulement par les respirations sifflantes et tandis que le sang ruisselle de toutes paris sur le sol.

La séance dure quelquefois une heure et demie ou deux heures, le temps de laisser refroidir le tabernacle ; et voici pourquoi :

Tout à coup, un bruit se fait à l’intérieur de ce tabernacle sur lequel tout le monde a les yeux fixés ; le bruit redouble ; la porte s’ouvre d’elle-même avec fracas, comme sous la poussée vigoureuse d’une main invisible ; et l’assemblée aperçoit alors une corbeille formant berceau, au milieu de laquelle vagit un enfant.

« — Chrishna ! Chrishna ! s’écrie la foule. Adevati Chrishna ! »

Les fidèles sont convaincus que Bouddha est revenu dans un nouveau Dalaï-Lama. Du dernier souverain pontife expirant, il est passé dans un reptile, pour s’incarner bientôt en un enfant nouveau-né.

L’imposture et la jonglerie sont faciles à démontrer dans ce que je viens de relater ; mais je n’ai pas à m’attarder à en faire la preuve. Il me suffit de rappeler ces pratiques, pour que le lecteur se rende bien compte du degré de superstition et de fanatisme de ce peuple.

Maintenant, j’arrive à la consécration définitive du Dalaï-Lama. Ici, nous rentrons dans le merveilleux, ou, pour mieux dire, dans l’effroyable. Toutefois, je ne saurais trop le répéter, toutes ces choses sont de la plus rigoureuse authenticité. Bon nombre de sceptiques haussèrent les épaules, lorsque le P. Huc, missionnaire lazariste en ces pays, publia ses récits de voyage ; pourtant, il rapportait l’absolue vérité, et je m’inscris au nombre de ceux qui confirment ses assertions.

Donc, l’enfant, en qui Bouddha s’est incarné, après son court séjour dans le corps du serpent, est élevé d’une façon spéciale à la lamaserie souveraine de Llassa. Il est inutile de parler de cette éducation, si ce n’est pour dire qu’elle se divise en trois degrés, de onze ans chacun, sous la régence du conseil des paspas. À trente-trois ans, le Dalaï-Lama est parfait, et les paspas n’ont plus qu’à lui céder la place, après la cérémonie dite de « l’éventrement ».

Pour cette solennité, on accourt de tous les points du Thibet, de la Mongolie, de la Tartarie, en un mot, des plus humbles villages de l’empire chinois ; ce mouvement de fidèles ne saurait se comparer qu’aux pèlerinages des musulmans à La Mecque.

Au jour fixé par le conseil des paspas, le Dalaï-Lama sort par la grande