Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une plaque de métal, ronde, de la largeur et de l’épaisseur très exactement d’une pièce de cinq francs en argent, trouée également au centre d’une petite élévation en forme de capsule qui en tient le milieu. C’est sur cette petite capsule et autour d’elle que le fumeur dépose successivement les perles d’opium qu’il a ramassées avec son épingle ; celles-ci s’agglomèrent et forment, au centre de la plaque et recouvrant la capsule, une petite massé ronde de la grosseur d’un pois chiche.

Alors, le fumeur penche sa pipe sur la lampe à esprit-de-vin, dont la flamme brûle l’opium, lequel produit ainsi une fumée épaisse et blanche que l’homme aspire en trois ou quatre aspirations et qu’il rend par le nez.

C’est fait. La première pipe d’opium est fumée.

On recommence la même manœuvre, en espaçant chaque pipe d’une petite séance de pépins torréfiés, que l’on épluche et que l’on mange en les accompagnant de quelques gorgées de thé.

La première pipe ne produit aucun effet, si ce n’est une toux légère causée par le passage de la fumée âcre sur l’épiglotte et le larynx supérieur. Mais, tout à coup, à la deuxième ou troisième pipe, une sensation particulière vous prend. On se sent comme éthérisé, volatilisé, subtilisé ; l’esprit semble se détacher du corps : on n’est plus homme, on n’est plus sur la terre ; ou est dans l’irradiation, dans l’éther, dans l’infini.

Alors aussi, mille sensations d’un plaisir inconnu vous étreignent, se succédant rapidement les unes aux autres, sans intermittence, et comme subintrantes même ; c’est une sorte de fièvre voluptueuse dans laquelle un accès n’est pas encore terminé que déjà un autre commence. On est absolument heureux ; on perd la notion des misères d’ici-bas ; on entend des sons délicieux de cloches, une musique céleste, des voix harmonieuses ; la poitrine se dilate ; un air pur et frais traverse les poumons ; la circulation s’active ; on a vingt ans.

Puis, les idées deviennent plus aiguës ; on sait tout, on voit tout, on entend tout ; c’est, en un mot, un bien-être inexprimable, une séparation de l’âme d’avec le corps ; on croit planer au-delà des mondes, en plein surnaturel.

L’état complet se produit à la quatrième ou cinquième pipe, — la quatorzième ou quinzième pour les habitués, — que l’on fume alors machinalement, sans s’en rendre compte, dans une hallucination complète de tous les sens.

Peu à peu, enfin, l’on s’endort.

Le réveil, par exemple, est désagréable. La tête est lourde ; les oreilles bourdonnent ; sans appétit et sans soif, annihilé, on est complètement abruti. Il parait que cet état devient encore à la longue une jouissance aiguë.