Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/291

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simulacre représentait le corps effectif d’un prêtre d’Adonaï, de Yé-su, et tout ce qui lui serait fait devait se répercuter sur les missionnaires eux-mêmes.

Sur un signe du grand-sage, les servants sortirent le mannequin de sa caisse et l’apportèrent au milieu de la salle, avec la sellette sur laquelle il était attaché.

Le mandarin annonça que les débats étaient ouverts et demanda si quelqu’un d’entre nous voulait se faire l’avocat du Dieu maudit et défendre son prêtre.

De nouveau je faillis me trahir. Comme il répétait sa question, je fus sur le point de répondre : moi ! J’eus un élan pour saisir cette occasion qui s’offrait à moi de célébrer, au sein même de cette tanière de brigands, mon Dieu odieusement outragé, et de leur crier à la face mon mépris pour eux et mon adoration du Seigneur Tout-Puissant qu’ils bravaient. Mais, de nouveau, il me sembla qu’une volonté plus forte que la mienne s’imposait à moi et me fermait la bouche. Malgré mon désir de parler, je me tus.

— Puisque personne, reprit le mandarin, ne veut se charger de la défense de cet infâme, qu’il soit jugé et supplicié, et que son Dieu meure avec lui !

Alors, se déroula une scène à la fois exécrable et stupide, que je n’oublierai jamais.

Le mandarin interrogeait le mannequin, comme s’il se fût agi d’un accusé vivant, lui demandant ce qu’il prétendait venir faire, lui, suppôt de Yé-su, dans l’Empire du Milieu, le pressant d’abjurer ses erreurs, s’il était de bonne foi, et, en tout cas, lui ordonnant de rendre hommage à la vraie divinité, celle qu’adorent les frères de la San-ho-hoeï. Je passe d’autres balivernes, d’autres saugrenuités, qu’il serait puéril de rapporter ici.

Comme bien on pense, le mannequin demeurait muet. Et le grand sage, ayant l’air de considérer ce mutisme comme une chose extraordinaire, s’écria en jouant l’indignation :

— Il ne répond rien, frères ! Vous le constatez, il ne répond rien !… Je requiers, en conséquence, qu’il soit mis à la torture.

Le tribunal approuva cette requête.

Aussitôt le grand-sage, quittant son siège, se rendit à l’orient, et là, prosterné devant l’idole, il déclama en anglais cette prière :

— Ô toi, Lucifer, notre dieu, que nous adorons sous les traits du Dragon-Baphomet, nous t’en supplions ! tu ne permettras pas que ces prêtres exécrés, se disant les apôtres de ton éternel ennemi, souillent encore une fois de leur présence le sol de l’Empire du Milieu qui t’appar-